Boulimie sans conscience?
À moins d'un virage majeur, une pénurie mondiale
de pétrole et de gaz naturel guette la planète
à moyen terme
Le recours croissant aux sources d'énergie fossiles,
pourtant non renouvelables et limitées, menace-t-il notre
besoin de plus en plus grand de confort et de mobilité?
Gaëtan Lafrance, professeur titulaire à l'Institut
national de la recherche scientifique et professeur membre associé
au GREEN de l'Université Laval (Groupe de recherche en
économie de l'énergie, de l'environnement et des
ressources naturelles), a tenté de répondre à
cette question, le jeudi 3 avril, au pavillon J.-A.-DeSève,
lors d'une conférence intitulée "Boulimie
énergétique: suicide de l'humanité?".
Son exposé s'inscrivait dans le cadre des activités
du Mois des sciences humaines et des sciences sociales des Grandes
Fêtes de l'Université.
Le conférencier a d'abord rappelé qu'au cours du
20e siècle, la population mondiale est passée de
1,6 milliard à 6 milliards d'individus. Et dans les vingt
dernières années, il s'est consommé autant
de combustible fossile (pétrole, gaz, charbon) que tout
ce que les humains avaient utilisé depuis leur apparition
sur la Terre. C'est dire à quel point l'énergie
est à la base du fonctionnement des sociétés
modernes. Et Gaëtan Lafrance, l'un des rares experts internationaux
en modélisation énergétique, estime que
cette tendance lourde va se poursuivre, ce qui ne sera pas, selon
lui, sans conséquences pour l'humanité. "Un
pessimiste comme l'expert du pétrole Colin Campbell croit
que nous verrons le début de la fin du pétrole
conventionnel autour de 2010", indique-t-il.
Dans ce dossier, les États-Unis se retrouvent au banc
des accusés. "Ce pays consomme 40 % de la production
mondiale de pétrole bien qu'il ne représente que
5 % de la population mondiale, souligne le chercheur. En plus,
le président Bush n'a pas ratifié le Protocole
de Kyoto." (Cet accord vise la réduction des émissions
de gaz à effet de serre et encourage notamment l'économie
d'énergie et une meilleure efficacité énergétique.)
Les optimistes, eux, avancent que notre système socio-économico-social
est capable de s'ajuster à un changement de paradigme
dans la gestion mondiale des ressources. Ils soutiennent également
que la science n'a jamais été aussi près
de faire entrer l'humanité de plain pied dans l'ère
de l'électricité au moyen de l'hydroélectricité,
de l'énergie éolienne et de l'énergie nucléaire.
Un scénario malgré tout inquiétant
Selon Gaëtan Lafrance, la marge de manoeuvre dont dispose
l'humanité est encore grande. Il brosse néanmoins
un tableau assez sombre de l'avenir pour les sociétés
où l'énergie est perçue comme une commodité,
au même titre que les fruits et les légumes. "La
consommation d'énergie, dit-il, augmente en dépit
de la conscience environnementale." Il ajoute qu'un changement
dans les comportements en ce qui concerne les mesures volontaires
d'économie de l'énergie est loin d'être évident.
"Pour un baby-boomer, explique-t-il, jamais l'énergie
n'aura été une préoccupation existentielle.
Il y consacre moins de 7,5 % de ses dépenses. Une solution
serait d'imposer un prix du combustible qui en reflète
la rareté à long terme."
Les experts prévoient que la population mondiale dépassera
les huit milliards d'individus en 2050 et que les hydrocarbures
comme le pétrole et le gaz naturel seront rares après
cette date. L'augmentation de la consommation d'énergie
au 21e siècle sera surtout le fait des pays émergents
et des pays en développement dans leur processus de rattrapage
des pays industrialisés. Depuis 1930, les plus importants
groupes industriels mondiaux ont toujours été des
compagnies liées à la diffusion de l'énergie,
ou des constructeurs automobiles. La voiture mue à l'électricité,
elle, n'est toujours pas au point. Enfin, les réserves
d'uranium 235 nécessaire à la fabrication de l'uranium
enrichi seraient insuffisantes pour répondre à
la demande en énergie nucléaire produite par la
fission. Et la technologie de la fusion nucléaire ne serait
disponible qu'après 2070.
YVON LAROSE
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