Alerte dans l'Arctique
Durant la guerre froide, des Inuits ont vu d'un
bon oeil l'arrivée d'une station-radar militaire dans
leur milieu
Au milieu des années 1950, environ 500 Inuits
vivaient sur la péninsule de Melville. Cette région
du Nunavut actuel, plate et couverte de gravier, est située
à la hauteur du 70e parallèle, au nord de la baie
d'Hudson et juste en dessous de la Terre de Baffin. Du jour au
lendemain, la vie des habitants de la péninsule se trouva
modifiée par la construction d'une station-radar militaire
américaine. Cette station, appelée Fox Main, faisait
partie de la DEW Line (Distant Early Warning). De 1955 à
1957, une gigantesque ceinture de détection électronique,
composée d'une soixantaine de stations-radars, fut érigée
depuis l'Alaska jusqu'à la Terre de Baffin au coût
de 600 millions de dollars US. Plus de 40 stations étaient
en sol canadien. C'était l'époque de la guerre
froide entre les blocs capitaliste et communiste, et ce système
devait prévenir les Nord-Américains de toute attaque
aérienne nucléaire, par le pôle Nord, par
des bombardiers soviétiques à long rayon d'action.
Le jeudi 27 mars, au pavillon La Laurentienne, Maxime Steve Bégin,
étudiant à la maîtrise en anthropologie,
a prononcé une conférence sur ce sujet lors du
14e Colloque annuel du GÉTIC-CIÉRA (Groupe d'études
inuites et circumpolaires-Centre interuniversitaire d'études
et de recherches autochtones). Sa communication a porté
sur la période 1955-1965 de la station Fox Main et sur
l'influence qu'a eue cette installation sur le village inuit
d'Hall Beach fondé par la suite à quelques kilomètres
de là. Selon les saisons, entre 150 et 300 Nord-Américains,
très majoritairement Canadiens, travaillaient à
Fox Main. Au printemps dernier, Maxime Steve Bégin s'est
rendu à Hall Beach interviewer 17 aînés inuits,
dont cinq femmes. "De manière générale,
explique-t-il, on peut dire que la DEW Line a été
plutôt bien perçue. Cela a un peu ébranlé
mes convictions puisque, au départ, je pouvais difficilement
envisager la présence d'une installation militaire comme
quelque chose de bon."
De nouveaux repères
Maxime Steve Bégin a découvert que l'emplacement
de Fox Main avait été bien choisi. Il n'existait
alors aucun village ou campement saisonnier inuit à proximité.
On trouvait par contre des habitations semi-souterraines centenaires
sur le site, que les constructeurs ont fait l'effort de protéger.
Par ailleurs, la zone ne servait pas à la chasse puisque
le gravier n'attirait pas le caribou. À ses débuts,
Fox Main comprenait une tour d'une centaine de mètres
de hauteur ainsi que deux antennes paraboliques hautes de 20
mètres. Ces constructions aidaient aux chasseurs et voyageurs
inuits à se repérer sur le territoire. Après
1963, l'érection de deux antennes de 40 mètres
est venue consolider cette fonction de repère toujours
présente aujourd'hui.
Qu'il s'agisse de maladies graves comme la tuberculose, ou d'accidents
de chasse, les infirmiers de la station Fox Main ont soigné
les Inuits à plusieurs reprises avant que le gouvernement
canadien ne construise une infirmerie à Hall Beach à
la fin de 1957. À cette époque, les Inuits trouvaient
de nouvelles ressources matérielles (récipients,
vaisselle, bois, tissu, etc.) dans le dépotoir de la station.
Certains d'entre eux ont travaillé au déchargement
des bateaux de ravitaillement. En 1957, une dizaine ont été
engagés comme opérateurs de machinerie lourde.
"Tous les Inuits interviewés qui ont trouvé
un emploi auprès de la DEW Line semblaient très
reconnaissants de cette possibilité qui leur avait été
offerte d'accéder au travail salarié et de pouvoir
expérimenter une nouvelle manière de vivre",
souligne Maxime Steve Bégin. En ce sens, plusieurs de
ces aînés ne se perçoivent pas comme ayant
été des récepteurs passifs, mais bien des
acteurs du changement.
Lorsque la DEW Line a cessé ses activités à
la fin des années 1980, et au grand déplaisir des
Inuits, divers types de déchets ont été
enfouis dans le sol, tels que produits pétroliers, BPC,
équipements électroniques, camions et barils d'huile.
La vocation de Fox Main n'a cependant pas changé puisque
la station fait aujourd'hui partie d'un autre réseau de
stations-radars, celui du North Warning System.
YVON LAROSE
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