Problème sexuel
La chicouté, une plante de tourbière, manquerait
d'énergie pour se reproduire sexuellement
La très faible production de fruits chez la chicouté
s'expliquerait par d'insuffisantes réserves nutritives,
avancent deux chercheures du Département de biologie.
La professeure Line Lapointe et l'étudiante-chercheure
Rachel Gauci arrivent à cette conclusion à la suite
d'une série d'expériences menées sur cette
plante dans la région de Forestville et de Havre-Saint-Pierre.
La chicouté, aussi connue sous le nom de plaquebière
ou bakeapple, vit dans les tourbières des régions
nordiques. Chaque plant forme un réseau complexe de tiges
souterraines (rhizomes) d'où émergent des ramets
qui, pour la plupart, ne portent que des feuilles. À partir
de ses rares ramets floraux, la plante produit un petit fruit,
semblable à la framboise, avec lequel les résidants
de la Moyenne et de la Basse-Côte-Nord font de la confiture
ou des tartes. Depuis quelques années, la chicouté
a accru sa renommée grâce à une liqueur fabriquée
et distribuée sous le nom de "Chicoutai" par
la Société des alcools du Québec. La SAQ
aurait besoin de 32 000 kg de fruits par année alors que
la récolte atteint à peine 16 000 kg.
L'une des principales causes de ce "manque à cueillir"
provient du taux d'avortement floral très élevé.
"Environ 75 % des fleurs de la chicouté avortent",
précise Rachel Gauci. Comme une étude antérieure
avait écarté la possibilité que la pollinisation
soit en cause, deux hypothèses pouvaient encore expliquer
ce phénomène. La première attribuait la
chétive production de fruits à la faible teneur
en éléments minéraux du sol des tourbières.
La seconde voulait que la plante n'ait pas suffisamment de réserves
pour satisfaire à la fois ses besoins métaboliques
courants et la demande supplémentaire engendrée
par la production de fruits.
La mesure du taux de photosynthèse et les expériences
de marquage à l'aide de carbone radioactif effectuées
par les deux chercheures ont révélé que
le fruit est un puits important de carbone pour la chicouté.
"Le ramet non floral ne participe qu'à l'accumulation
des réserves carbonées alors que le développement
du fruit est à la charge unique du ramet floral",
explique Rachel Gauci. Par ailleurs, les expériences de
fertilisation ont montré que les nutriments ont un impact
sur le nombre de ramets non floraux produits, mais pas sur la
production des fruits. Seul le phosphore semble avoir une certaine
influence sur le taux de photosynthèse. "Le carbone
apparaît donc comme le principal facteur limitant la production
du fruit chez la chicouté", concluent les chercheures.
Il n'existe donc pas de "solution Viagra" pour augmenter
miraculeusement la reproduction sexuée et la production
de fruits chez la chicouté. Cependant, suggère
Rachel Gauci, par sélection artificielle, on pourrait
favoriser les plants qui ont de grosses feuilles sur les ramets
floraux de façon à accroître la production
de réserves nutritives. L'autre avenue consisterait à
couper une certaine proportion des ramets floraux. "Il vaut
mieux avoir un beau fruit sur moins de ramets floraux que beaucoup
de ramets floraux avortés", raisonne l'étudiante-chercheure.
JEAN HAMANN
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