Bras de fer entre Mickey et Astérix
Déjà houleux, le débat international
sur la diversité culturelle s'envenime
Au mois de février, les représentants de huit
pays ont formellement demandé à l'Unesco de se
pencher sur un projet de convention internationale sur la diversité
culturelle, tandis que plusieurs coalitions nationales, regroupant
pour l'essentiel des professionnels de la culture, travaillent
activement à travers le monde à promouvoir l'idée
d'un tel accord. Selon Ivan Bernier, professeur associé
à la Faculté de droit et l'un des rares spécialistes
internationaux de la diversité culturelle, le statut des
biens et services culturels demeure d'une grande actualité.
"La question en cause, explique-t-il, consiste à
savoir si le bien et le service culturels sont des produits semblables
à tout autre produit. Les Américains disent qu'il
s'agit de produits de divertissement (entertainment).
Mais la majorité des pays disent que ce ne sont pas des
produits comme les autres, qu'ils sont à la fois objets
de commerce et vecteurs de valeurs. Or, les produits culturels
ont une répercussion majeure qui est cruciale pour le
fonctionnement démocratique des États. Mais pour
certains pays, cela n'a rien à voir."
Agir bilatéralement
Ivan Bernier prononcait une conférence, le mercredi
26 mars, au pavillon Charles-De Koninck. Présenté
par le Centre d'études en droit économique, son
exposé s'inscrivait dans le cadre des activités
du Mois du droit des Grandes Fêtes de l'Université.
Selon lui, la France et le Canada ont le plus contribué
à faire avancer le débat. "Les États-Unis,
ajoute-t-il, sont généralement le plus souvent
en cause et à la source des plaintes présentées
à l'Organisation mondiale du commerce, que ce soit sur
la diversité de la culture, la production de biens et
services culturels, ou la propriété intellectuelle."
La stratégie du Canada consiste à promouvoir l'idée
d'exclure les produits culturels des accords commerciaux. Les
accords de libre-échange bilatéraux que ce pays
a signés avec le Costa Rica, le Chili et Israël contiennent
d'ailleurs une clause excluant complètement de tels produits.
L'Union européenne a fait de même dans le cadre
d'accords commerciaux signés avec le Chili et le Mexique.
Aux États-Unis, de grandes entreprises, notamment AOL
Time Warner et Metro Goldwyn Mayer, ont réagi en mettant
sur pied une coalition pour le libre-échange en matière
d'"entertainement". "Ces sociétés,
souligne Ivan Bernier, s'organisent parce qu'elles voient que
quelque chose se passe."
Depuis les années 1920
Le statut des biens et services culturels fait l'objet d'un
débat toujours non résolu, qui remonte aux lendemains
de la Première Guerre mondiale. La plupart des pays d'Europe
sont alors envahis par les films américains. Les producteurs
de films européens, qui avaient été empêchés
de produire durant le conflit, demandent à leurs gouvernements
respectifs de prendre des mesures pour défendre leur culture
nationale. Des quotas à l'écran pour les films
d'origine nationale sont établis, quotas qui s'élèvent
selon les pays à 30 et même 40 pour cent de la programmation.
Contestée par les producteurs américains, cette
décision ne sera réglée qu'en 1947 et en
faveur des Européens, dans le cadre de l'Accord du GATT.
La question du statut des biens et services culturels refera
périodiquement surface par la suite, accompagnée
de tensions inévitables. Dans les années 1990,
la création de l'Organisation mondiale du commerce, l'augmentation
du nombre d'États ainsi que la mise en uvre de nouveaux
accords commerciaux multiplient les conflits en ce domaine.
YVON LAROSE
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