Mars de la maîtrise
Des finissants en arts visuels affichent leur
"différance"
Des tableaux, encore des tableaux, toujours des tableaux.
À quelques exceptions près, la dizaine d'étudiants
et d'étudiantes à la maîtrise en arts visuels
qui exposent présentement leurs travaux dans le cadre
de l'événement "Mars de la maîtrise"
proposent des oeuvres en deux dimensions, alors que depuis de
nombreuses années, les finissants de ce programme montraient
surtout au public des sculptures et des installations. Intitulée
"Différance", cette exposition se veut une réunion
de créateurs, et surtout de créatrices, poursuivant
leur propre quête. Les oeuvres présentées
à la Galerie des arts visuels reflètent donc cette
diversité de parcours, qui correspond bien à la
réalité solitaire de la recherche en maîtrise.
Peu de points communs relient en effet les oeuvres d'une Julie
Morazain, dont la sculpture rappelle un évier environné
de tréteaux, et la série de photos anciennes de
Marie-Claude Beaudoin. Le visiteur parvient tout de même
à lancer quelques ponts entre des productions à
première vue disparates. Ainsi, Lucie Hamel, comme Alexandra
Caron, travaille sur le détournement d'objets de leur
utilisation usuelle. Dans la galerie, une valise verte intrigante
suscite la curiosité du public. Impossible de l'ouvrir,
mais on peut très bien, par contre, jeter un coup d'il
à l'intérieur et découvrir un paysage grâce
à une lentille appropriée. "Ce qui est fascinant,
c'est que les gens ne voient pas tous la même chose, remarque
l'artiste, passionnée par les relations entre l'observateur
et le phénomène observé. Tout dépend
du point de vue où ils se placent et de leurs perceptions."
À quelques pas, Alexandra Caron opère aussi un
glissement de sens avec la petite armoire de bois qu'elle a fabriquée
en s'inspirant des modèles anciens. Au lieu d'abriter
des chaussettes ou des sous-vêtements, ce meuble de rangement
contient des estampes. "Je travaille à partir des
photos anciennes de ma famille, explique la jeune fille. Je les
transforme numériquement, puis par sérigraphie,
j'utilise aussi l'impression par eaux fortes pour donner l'impression
du temps qui passe." Empilées dans son meuble, les
séries d'images donnent ainsi l'impression de constituer
des strates de souvenirs rangés. Cette vision du temps
qui s'accumule en couches successives se retrouve aussi sur les
toiles très colorées de Thérèse Guy,
qui travaille sur l'identité fragmentée.
"Sur ma toile, des images actuelles coexistent avec des
images du Moyen ge comme une série de transparents, précise
cette artiste qui a longtemps travaillé le verre. Cela
ressemble à la vie, car les gens que l'on côtoie
nous apportent des éléments qui nous font voir
les choses autrement." Pendant deux ans, l'étudiante
a pris plaisir à utiliser les différentes technologies
offertes à l'École des arts visuels pour créer
autrement. Elle imprime ainsi des images numériques sur
de la toile, qu'elle travaille ensuite avec de l'acrylique pour
produire ses superpositions d'images.
D'hier à demain
Plusieurs des étudiantes et étudiants à
la maîtrise utilisent d'ailleurs ces nouvelles technologies,
mais en gardant un lien avec le passé. Louise Néron
a cherché pendant plusieurs mois, par exemple, le support
de toile aérien capable d'accueillir son image numérique
représentant de vieilles façades. Elle s'intéresse
depuis longtemps aux anciennes publicités peintes des
années 1920 qui recouvrent les immeubles à Montréal
ou ailleurs. L'artiste a suspendu son image à quelques
pas du mur, sur une toile ressemblant à de la soie, puis
remarqué par hasard qu'elle pouvait accrocher, derrière,
la même image, imprimée sur du papier pour créer
un effet d'ombre. "C'est une découverte accidentelle
très intéressante", dit-elle!
Paule Genest signe, avec "Ensevelissement", une
oeuvre où les strates du temps qui passe se gravent directement
dans la peinture qui recouvre son tableau, suspendu au mur à
la manière d'un tapis d'orient. "J'ai travaillé
sur la toile par terre, avec mes mains, mes ongles pour que les
jus de couleurs ne dégoulinent pas, explique l'artiste.
Je voulais produire une ronde du cycle perpétuel, avec
par exemple, cette chute de feuilles qui se transforment et nourrissent
la terre." Finalement, le rapport que les différents
artistes entretiennent avec le passé constitue un puissant
fil d'ariane entre des oeuvres si "différantes".
Le Mars de la Maîtrise a lieu jusqu'au 6 avril à
la Galerie des arts visuels, Édifice de la Fabrique, 255
boul. Charest est. Les heures d'ouverture sont du mercredi au
vendredi de 9 h 30 à 16 h 30 et les samedis et dimanches,
de 13 h à 17 h.
PASCALE GUÉRICOLAS
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