Entre la bouteille et le goupillon
L'Église catholique a lutté contre la consommation
abusive, puis contre la consommation tout court de l'alcool au
Canada français
Au temps de la Nouvelle-France, boire des boissons alcoolisées
est une chose normale et courante. L'action des autorités
religieuses et coloniales consiste surtout à essayer de
réprimer l'abus d'alcool et l'ivrognerie. Sous le Régime
anglais, et jusque dans les années 1820, la consommation
d'alcool atteint un sommet chez les Canadiens français.
En 1840, devant les dégâts causés par l'alcoolisme,
on assiste au Québec francophone à la mise sur
pied d'une "croisade" de tempérance qui durera
une quinzaine d'années. En 1905, une seconde "croisade"
se met en branle. Ce mouvement se radicalise graduellement et
en vient à prôner la prohibition et l'abstinence
totale.
Telles sont les grandes lignes de l'exposé que Catherine
Ferland, étudiante au doctorat en histoire, a livré
le mercredi 12 mars au pavillon Charles-De Koninck, dans le cadre
des midis-causeries du Centre interuniversitaire d'études
sur les lettres, les arts et les traditions. Sa conférence
avait pour titre: Entre la croix et la bouteille: l'Église
et la question de l'alcool au Canada français, 17e
20e siècles. "Selon l'Église,
explique-t-elle, l'enivrement constitue un péché
capital car il peut conduire à enfreindre huit des dix
commandements. La conclusion s'impose: c'est un devoir de conscience
pour tout chrétien d'éviter tout excès de
boisson."
Les premiers Canadiens fabriquent et vendent de la bière
et ils font venir d'Europe de grandes quantités de vin
et d'eau-de-vie. À une époque qui ne valorise pas
la sobriété totale, les cabarets ouvrent leurs
portes même pendant l'office divin. Selon Catherine Ferland,
l'Église intervient d'abord pour lutter contre le non-respect
de la religion qui découle trop souvent de l'état
d'ébriété. "La situation, dit-elle,
est suffisamment grave pour que l'on demande aux curés
de refuser l'absolution à ceux qui ont l'habitude de s'enivrer.
Au 17e siècle, le Rituel du diocèse de Québec
stipule même que les pécheurs publics, dont les
ivrognes, ne peuvent recevoir les sacrements."
L'alcool omniprésent
La période comprise entre la Conquête et les
années 1820 se caractérise par une très
forte consommation de boissons alcoolisées au Canada français.
Le travailleur saisonnier, le pionnier isolé qui n'a que
la taverne comme lieu de socialisation, et le militaire en garnison
concourent à l'augmentation de l'alcoolisme. Pour ajouter
au problème, il est désormais facile et peu coûteux,
à partir des années 1820, de produire de l'eau-de-vie
maison grâce à un nouvel appareillage de distillation
simplifié.
En 1840 s'amorce à Beauport une véritable croisade
de tempérance qui durera une quinzaine d'années.
En trois ans, l'abbé Charles Chiniquy parcourt à
lui seul 120 paroisses où il prononce plus de 500 sermons.
Grâce à lui, près de 165 000 personnes s'enrôlent
dans les sociétés de tempérance. Selon Catherine
Ferland, le bilan de la croisade s'avéra plutôt
positif. "Mais, souligne-t-elle, de nombreuses personnes
se sont mises à se cacher pour continuer à consommer
de l'alcool, ce qui a favorisé l'installation d'alambics
et de débits de boissons illégaux."
En 1905, une seconde croisade de tempérance se
met en marche sous l'impulsion de mgr Paul Bruchési, archevêque
de Montréal. "L'exemple vient de haut, explique Catherine
Ferland. Le clergé catholique est invité à
cesser toute consommation de boissons alcooliques, même
le vin à table, même le petit verre que leur offrent
parfois les fidèles lors des visites paroissiales. En
1908, on évalue à près d'un million de membres
les nouveaux adhérents aux sociétés de tempérance."
De 1915 à 1925, sous l'influence de l'élan prohibitionniste
mondial, le nouvel idéal des croisés consiste en
l'abolition totale de toute boisson enivrante, aussi bien son
usage que son commerce.
YVON LAROSE
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