Sur la piste de nouveaux antibiotiques
L'élucidation de la structure d'une enzyme ouvre un
nouveau front dans la lutte contre les maladies infectieuses
Une équipe internationale, à laquelle sont associés
quatre chercheurs de la Faculté des sciences et de génie,
vient d'élucider la structure et le mode de fonctionnement
d'une enzyme essentielle à toute forme de vie. Robert
Chênevert et Stéphane Bernier, du Département
de chimie, Jacques Lapointe et Daniel Dubois, du Département
de biochimie et de microbiologie, et quatre chercheurs japonais
livrent les détails du fonctionnement de cette enzyme,
la glutamyl-ARNt synthétase, dans une récente édition
de la revue de l'European Molecular Biology Organisation (EMBO
Journal).
En plus de présenter un grand intérêt sur
le plan de la recherche fondamentale, cette découverte
ouvre la porte à la synthèse de nouveaux antibiotiques
qui cibleraient spécifiquement les formes de cette enzyme
retrouvées chez les bactéries. "Les compagnies
pharmaceutiques, aux prises avec le phénomène de
résistance aux antibiotiques, sont à la recherche
de nouveaux produits pour lutter contre les maladies infectieuses.
Elles montrent donc beaucoup d'intérêt pour nos
travaux sur la synthèse d'inhibiteurs spécifiques
à cette enzyme", signale Jacques Lapointe.
Essentielle à la synthèse des protéines
La glutamyl-ARNt synthétase est une enzyme universelle,
présente dans les cellules de tous les organismes vivants.
"Elle sélectionne un acide aminé, l'acide
glutamique, et elle le fixe sur son ARN de transfert, explique
Robert Chênevert. Cette réaction constitue la première
étape de son incorporation dans les protéines."
Un organisme dépourvu de cette enzyme serait incapable
de synthétiser la presque totalité des protéines
dont il a besoin pour vivre et se multiplier.
Jacques Lapointe travaille depuis plus de 30 ans sur cette enzyme
chez la bactérie E. coli. "Personne n'a encore réussi
à élucider sa structure chez cette espèce,
souligne-t-il. Nos collègues japonais ont eu l'idée
d'utiliser une autre espèce de bactérie, Thermus
thermophilus, qui, comme son nom le suggère, est très
résistante à la chaleur. La structure de l'enzyme
est plus stable chez cette espèce ce qui facilite sa cristallisation."
Les cristallographes japonais, avec qui il collabore depuis 10
ans, ont eu recours au plus grand synchrotron au monde pour déterminer
la structure tridimensionnelle de l'enzyme. Cet accélérateur
de particules, situé en banlieue de Tokyo, permet d'étudier
l'architecture des molécules par diffraction des rayons
X.
Pour sa part, l'équipe de l'Université Laval, rattachée
au Centre de recherche sur la fonction, la structure et l'ingénierie
des protéines, a apporté une contribution significative
à cette découverte en réussissant à
synthétiser un inhibiteur de l'enzyme. "Cet inhibiteur
ressemble à un intermédiaire qui apparaît
pendant la réaction, explique Robert Chênevert.
Il permet de figer l'enzyme en action et ainsi de comprendre
son mode de fonctionnement."
La structure de la glutamyl-ARNt synthétase présente
de légères variantes d'une espèce à
l'autre. Les chercheurs veulent exploiter ces différences
pour concevoir des inhibiteurs qui pourraient en bloquer l'action
chez les bactéries, sans perturber le fonctionnement de
l'enzyme chez les êtres humains. L'équipe de Robert
Chênevert termine la synthèse de trois inhibiteurs
potentiels qui seront bientôt testés sur des bactéries.
JEAN HAMANN
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