Des travailleurs à protéger
Le rapport Bernier fait le point sur le phénomène
du travail atypique, lot de quelque 1,2 million de Québécois
Le mardi 4 mars à Montréal, Jean Rochon, ministre
d'État aux Ressources humaines et au Travail, a présidé
la troisième et dernière séance de travail
publique sur la protection sociale des travailleurs à
statut non traditionnel. Ces consultations visaient à
définir des orientations ministérielles. Elles
s'appuyaient sur le rapport Bernier, une rigoureuse et volumineuse
étude de plus de 800 pages produite en moins d'un an par
une équipe d'experts universitaires dirigée par
Jean Bernier, professeur au Département des relations
industrielles de l'Université Laval.
Intitulé Les besoins de protection sociale des personnes
en situation de travail non traditionnelle, le rapport, rédigé
pour le compte du ministère du Travail, contient plus
de 50 recommandations. Elles visent à améliorer
la situation des quelque 1,2 million de Québécois,
incluant les étudiants, qui ne correspondent pas au modèle
classique du travail salarié. En clair, ces travailleuses
et travailleurs dits atypiques (travail à temps partiel,
travail autonome, etc.) ne fonctionnent pas à l'intérieur
d'une relation de travail subordonnée, de durée
indéterminée, pour le compte d'un même employeur
dans son entreprise. Selon Statistique Canada, la proportion
des travailleurs atypiques au Québec est passée
de 16,7 % de l'emploi total en 1976, à 36,4 % en 2001.
La moitié des jeunes travailleurs de moins de 30 ans fait
partie de cette catégorie.
La tendance forte que constitue le travail atypique s'observe
dans l'ensemble des pays industrialisés d'Occident. Pour
l'employeur, le travail atypique offre une plus grande flexibilité
dans l'utilisation et la gestion de la main-d'oeuvre. Pour le
travailleur, il peut faciliter la conciliation travail-famille,
ou permettre une plus grande autonomie dans l'exécution
du travail.
Une définition élargie
Selon Jean Bernier, il faut d'abord élargir la définition
de salarié contenue dans les différentes lois du
travail. "Le statut de salarié est la principale
clé qui donne accès aux lois du travail et conséquemment
aux régimes de protection sociale des travailleurs, explique-t-il.
Cet aspect nous apparaît le plus prioritaire parce qu'il
touche au problème de l'exclusion sociale." Selon
lui, le travail atypique conduit souvent à la précarité
et les femmes, plus que les hommes, sont touchées. "En
marginalisant une portion importante de la main-d'oeuvre, ajoute
Jean Bernier, le travail atypique pourra avoir éventuellement
des conséquences en termes de productivité, de
coûts sociaux et même de paix sociale."
Un deuxième bloc de recommandations s'appuie sur le principe
général d'égalité de traitement et
vise à éliminer les disparités de traitement
basées sur les statuts d'emploi. Même s'ils exécutent
des tâches similaires à celles des salariés
classiques, les travailleurs atypiques ne bénéficient
pas des mêmes avantages sociaux qu'eux. Le rapport favorise
aussi la protection des salariés d'agence et des travailleurs
autonomes. Dans ce dernier cas, on propose la mise en place d'un
régime-cadre de représentation collective. "Depuis
des années, rappelle Jean Bernier, les pigistes au Québec
essaient d'être représentés collectivement
auprès des journaux, des revues, etc. Un régime-cadre
apparaît comme un moyen particulièrement bien adapté
pour répondre à des besoins comme la protection
du revenu en cas de chômage, les congés parentaux
et de maternité, et les vacances annuelles."
Si le rapport Bernier a suscité des réactions très
favorables de la part des organisations de travailleurs et d'experts
universitaires, le monde patronal l'a tout simplement rejeté.
"Je trouve désolant, inquiétant même,
cette sorte de refus de prendre en compte que le monde du travail
a changé", déplore Jean Bernier. Et s'il y
a changement de gouvernement au terme des prochaines élections?
"Indépendamment du résultat, dit-il, ce dossier
devra aller de l'avant parce que c'est une question qui est destinée
à rebondir tôt ou tard."
YVON LAROSE
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