Bons baisers de Russie
Le VIH se répand comme une traînée de
poudre chez les prostituées et les drogués russes
Le comportement des policiers et du personnel médical
à l'endroit des prostituées rend difficile l'instauration
de programmes de prévention du sida dans la Fédération
russe. D'ailleurs, la stigmatisation et l'exploitation dont sont
victimes les travailleuses du sexe ne seraient pas étrangères
au fait que ce pays connaît présentement l'un des
plus forts taux de croissance du sida au monde. C'est du moins
l'avis exprimé par trois épidémiologistes,
en éditorial du numéro de janvier 2003 de la revue
Sexually Transmitted Diseases.
Dans leur analyse, Michel Alary, de la Faculté de médecine,
et ses collègues londoniennes, Catherine Lowndes et Lucy
Platt, signalent que la prostitution n'est pas un délit
criminel, mais un délit administratif en Russie. Les policiers
profiteraient de ce flou légal pour harceler les prostituées,
en particulier les immigrantes, exigeant des pots-de-vin en argent
ou en services sexuels pour les laisser exercer leur métier.
Les policiers russes peuvent obliger les prostituées à
passer des tests de dépistage des MTS, ce qui contribue
à accroître la méfiance de ces femmes envers
tous les services de santé, même ceux responsables
des campagnes anti-sida.
Depuis 1995, 30 villes russes, dont Moscou, ont connu des explosions
d'infection à VIH, rappellent les trois experts. Le chiffre
officiel de 173 000 personnes séropositives serait largement
en deçà de la réalité; dans les faits,
il y en aurait plus de 700 000 dans l'ensemble du pays. Environ
70 % de ces cas seraient liés à l'usage de drogues
intraveineuses.
En Russie comme ailleurs, prostitution et drogues couchent dans
le même lit. De 25 à 80 % des prostituées
russes feraient usage de drogues intraveineuses. À elle
seule, Moscou abriterait entre 30 000 et 150 000 prostituées.
L'absence de programme d'échanges de seringues et l'utilisation
sous-optimale du condom, surtout chez les prostituées
qui font le trottoir - le groupe qui affiche le plus haut taux
de séropositivité - laissent donc prévoir
que le pire est encore à venir.
Les clients de ces prostituées font le pont entre ce milieu
à risque élevé et le reste de la population,
constatent les trois épidémiologistes. Leur nombre
et leurs comportements sexuels vont donc jouer un rôle
central dans la vitesse et l'étendue de la propagation
du VIH dans la Fédération russe, concluent-ils.
JEAN HAMANN
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