Triangle équilacrymal Une même personne peut-elle contenter le physicien, l'ingénieur et le poète qui l'habitent? Enfant, il rêvait de devenir astronaute. Puis la vie étant ce qu'elle est, il est devenu physicien, ingénieur, professeur d'université et même directeur de l'École Polytechnique. Ce n'est pas rien, mais ce n'était pas assez pour rendre heureux le poète sidéral qui sommeille en Réjean Plamondon. Pour réconcilier sa raison et ses passions, ce diplômé de l'Université Laval se fait, aussi souvent qu'il le peut, cervonaute, jonglant avec des mots chimériques, pour maintenir un sain équilibre entre la beauté - la physique -, l'action - le génie - et la poésie - le sens-.
Lors d'une conférence présentée dans le cadre du Mois des Sciences et de Génie des Grandes Fêtes, le professeur à Polytechnique a expliqué comment les tensions continuelles entre ses trois maîtres exigeants alimentent son énergie créatrice et comment le contentement et le mécontentement de la trinité qui l'habitent font tourner sa dynamo. Le crayon est une mine Par devoir et par plaisir, Réjean Plamondon pilote des crayons. Ses virées l'ont conduit à un conte pour enfant, Zoupic (1981), puis à une nouvelle policière, Robin des Banques (1987) et enfin au pays de la poésie, Écritude (1990), Portraits rebelles d'un cervonaute (1998) et Parfums d'Amérope (2002). Le pilotage de crayons inspire non seulement ses écrits, mais aussi ses recherches. Il y a plusieurs années, il a eu l'idée d'installer un accéléromètre sur un crayon et de suivre les accélérations et décélérations du trait ainsi que la façon dont le pilote négocie les courbes afin de modéliser la cinématique du geste d'écriture. De cette idée est né le laboratoire Scribens à qui on doit de nombreux travaux en sécurité informatique, en apprentissage de l'écriture et en orthopédagogie.
Peut-être même lui devra-t-on, un jour, de nouveaux outils de dépistage de certaines maladies neurodégénératives. Réjean Plamondon rêve, en effet, de remplacer la biopsie ou le test d'imagerie médicale par une simple signature. "L'écriture est le miroir du cerveau, mais elle peut aussi être une fenêtre qui permet de voir certains problèmes qui se répercutent sur les mouvements." Aux critiques qui lui reprochaient d'avoir consacré, toute sa vie durant, son génie à l'étude de la modeste grenouille, le biologiste français Jean Rostand aurait répondu: "Dans la grenouille, il y a toute la biologie". À ceux qui pourrait lui reprocher ses aventures extra-scientifiques avec les mots, le physicien-ingénieur-poète Plamondon pourrait tout aussi bien répondre; "Dans la conduite du crayon, il y a toute la cerveau-direction". JEAN HAMANN |