Les martyres de Compiègne
L'Atelier d'opéra propose "Les dialogues
des Carmélites", de Francis Poulenc, au Théâtre
de la Cité universitaire
Quelques religieuses au pied d'un échafaud chantent
leur angoisse et leur solidarité face à la mort
qui arrive. Plus de deux siècles plus tard, cet épisode
dramatique survenu en pleine Révolution française
reprend vie avec l'Atelier d'opéra, sur la scène
du Théâtre de la Cité universitaire. Il acquiert
aussi une nouvelle actualité, alors que des pacifistes
s'apprêtent à protéger de leur corps des
sites civils lors d'un éventuel conflit en Irak.
Les dialogues des Carmélites, l'opéra de
Francis Poulenc écrit en 1957 d'après l'oeuvre
de Georges Bernanos, ne relate pas seulement l'histoire de ces
religieuses de Compiègne accusées de complot, qui
ont préféré mourir plutôt que d'abandonner
leur ordre. Cette oeuvre, qui constitue un des rares opéras
contemporains à figurer fréquemment à l'affiche
de nombreuses institutions dans le monde, parle aussi d'abnégation,
de don de soi, d'angoisse. Des sentiments très actuels,
qui ont inspiré les étudiantes qui interprètent
les soeurs sur scène.
"C'est rare qu'un opéra nous offre des rôles
aussi réalistes, remarque Judith Bouchard, qui joue Blanche
de la Force. Cela laisse beaucoup de place pour l'interprétation."
La jeune femme incarne une religieuse qui s'enfuit du Carmel,
un ordre où les soeurs doivent rester recluses, lorsque
les révolutionnaires leur ordonnent de se disperser et
de retourner vivre dans le monde. Prise de remords, cette jeune
noble décide de rejoindre ses compagnes qui ont décidé
de demeurer soeurs, et affronte avec elles une mort imminente.
Elles ont en effet fait vu de martyres pour que la France soit
libérée. "C'est une oeuvre qui traite de religion,
mais ce n'est pas une pièce religieuse, car les sentiments
dépassent cette dimension," explique Jacques Leblanc,
le metteur en scène.
Des soeurs bien vivantes
Par souci de réalisme, Jacques Leblanc a organisé
une rencontre entre ses élèves et quelques Carmélites
qui vivent à Tewksburry, dans les Cantons de l'Est. Un
reportage réalisé sur cet ordre, diffusé
récemment à la télévision, a aidé
également les interprètes à comprendre la
réalité de ces femmes qui vivent en retrait de
la société. "J'avais une vision de personnes
qui ne bougent pas, très pincées, reconnaît
Judith Bouchard, et je me suis rendu compte qu'elles parlaient
et riaient normalement!" Pour mieux immerger le spectateur
dans la réalité du couvent, le metteur en scène
a d'ailleurs choisi de présenter les soeurs dans la cour
de récréation du Carmel alors que celle-ci joue
à la balle, que celle-là saute dans une corde à
danser ou que telle autre tricote.
Cette quête de Jacques Leblanc vers le réalisme
le pousse également à demander à ses interprètes
de se laisser aller, à oublier les carcans, les tics de
chanteurs. Un exercice exigeant pour des étudiants qui
ont déjà des stéréotypes en tête
sur la pose à adopter en chantant. "Ce n'est pas
si facile de rester naturel tout en jouant, avoue Paul Roger
qui avait tendance à avancer la tête comme le veut
la tradition. Mais finalement, lorsqu'on se libère de
ces entraves, et qu'on ressent vraiment l'émotion, la
voix sort toute seule." Judith Bouchard a vécu la
même expérience, elle qui avait tendance à
enfler sa voix. Aujourd'hui, elle parvient à alléger
ses interprétations.
La forme même de l'opéra, construit autour de dialogues
et non d'airs récitatifs, poussait aussi les interprètes
dans cette direction. "Je leur ai demandé de rester
le plus près possible de la partition de Poulenc, précise
la chanteuse Patricia Fournier qui assure la direction musicale
de l'oeuvre, afin que les interprètes soient fidèles
aux émotions que le texte porte." Elle cite ainsi
la scène de la mort de la Prieure dans le premier acte,
qui n'existe dans aucun autre opéra, car pour une fois
le personnage éprouve des sentiments humains, très
proches de la réalité. Pour traduire toute la gamme
d'émotions que les religieuses éprouvent, il a
donc fallu que les interprètes travaillent beaucoup leur
diction, et s'approprient ce texte en français. Cependant,
le travail corporel n'a pas été négligé
non plus.
"Je leur explique que leur corps devient un instrument aussi
significatif que leur voix sur scène, précise Jacques
Leblanc. Ils doivent donc être capables de bouger tout
en étant concentrés sur la technique." Peu
à peu, les inhibitions tombent et les chanteurs, entièrement
occupés dans le moment présent, cessent enfin de
s'interroger sur ce qu'ils pourraient faire avec leurs mains.
De cet abandon, naissent des scènes chantées émouvantes
comme cette montée vers l'échafaud qui a pris plus
d'une interprète à la gorge. Le public du Théâtre
de la Cité universitaire ne pourra pas d'ailleurs jouer
les indifférents lors de la finale, puisque la présence
du choeur directement dans la salle le mettra face à la
brutale réalité de l'exécution.
L'opéra Les Dialogues des Carmélites de
Francis Poulenc sera présenté les 12 et 14 mars
à 20 h, et le 16 mars à 14 h, auThéâtre
de la Cité universitaire, pavillon Palasis-Prince. Direction
musicale: Patricia Fournier. Mise en scène: Jacques Leblanc.
Admission générale: 12 $ (étudiants: 10
$).
PASCALE GUÉRICOLAS
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