Du boulevard Henri IV au Parc Jeanne d'Arc
La mémoire historique commune à la France et
au Québec fera-t-elle place à un nouveau système
mémoriel?
"Mes enfants ne savent pas qui est Montcalm. Ce personnage
historique a disparu des manuels scolaires français. À
cette sorte de mémoire commune franco-québécoise
qui n'existe plus, j'ai envie de dire qu'un autre type de mémoire
commune s'esquisse dans la lignée des chanteurs et chanteuses
du Québec." Le vendredi 21 février au pavillon
Charles-De Koninck, l'historien Philippe Joutard a prononcé
une conférence sur le thème "L'usage des grands
hommes dans la construction d'une mémoire historique:
l'exemple franco-québécois". Cette activité
était organisée, entre autres, par la Chaire de
recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire.
Le professeur retraité de l'École des hautes études
en sciences sociales de Paris estime qu'il ne faut pas regretter
la disparition du système mémoriel commun propre
à une histoire franco-québécoise. Il rappelle
que ce système s'appuyait sur deux rois (saint Louis,
Henri IV), une héroïne (Jeanne d'Arc) et un héros
(Montcalm). Selon lui, la chanson joue un rôle capital
dans un système mémoriel. "Derrière
la chanson, dit-il, il y a la langue qui est l'un des lieux de
mémoire les plus forts. Une comédie musicale comme
Notre-Dame de Paris, inspirée de l'oeuvre d'un
Français et dont le livret a été écrit
par un Québécois, constitue le lien parfait de
ce nouveau système mémoriel."
Une mémoire collective très ancienne
La mémoire collective française se met en place
dès le 13e siècle, en particulier avec la consécration
de la basilique de Saint-Denis comme lieu d'inhumation des rois
et des reines de France. Il faut cependant attendre la fin du
16e siècle et le début du 17e pour voir émerger
de cette galerie quelques rois que l'on présente comme
des héros, entre autres Louis IX, communément appelé
saint Louis (1214-1270). On fait également jouer à
Jeanne d'Arc (1412-1431), pour la première fois, un rôle
de construction de la mémoire collective. Cette époque
est celle d'Henri IV, qui se met lui-même en valeur, et
de son ministre Sully. "Sully inaugure une deuxième
lignée constituée de grands ministres, dont le
cardinal de Richelieu, indique Philippe Joutard. Au 18e siècle,
s'ajoutent de grands capitaines, de grands écrivains et
de grands artistes. Le 19e siècle voit l'ajout de grands
scientifiques et de grands découvreurs."
Napoléon hier, de Gaulle aujourd'hui
Quatre sondages, réalisés entre 1948 et 1999,
donnent une bonne idée de l'évolution de la société
française contemporaine quant à son panthéon
historique. Chaque fois, les répondants ont identifié
le personnage historique français avec lequel ils aimeraient
s'entretenir pendant une heure. Il y a un demi-siècle,
près du tiers des répondants ont choisi l'empereur
Napoléon. Au bas de l'échelle se trouvait le général
de Gaulle (1 %) qui venait pourtant de dominer la scène
politique. Cinquante et un ans plus tard, de Gaulle était
bon premier (29 %) tandis que Napoléon voyait sa popularité
réduite à 17 %. "Le sondage de 1987 voit l'apparition
de personnages encore vivants et actifs comme le président
François Mitterrand avec 10 %", ajoute Philippe Joutard.
La seconde partie du sondage consistait à choisir, à
partir d'une liste, le personnage historique le plus sympathique.
En 1999, les trois principaux choix des Français furent
dans l'ordre la physicienne Marie Curie, le grand résistant
Jean Moulin et Jeanne d'Arc.
"Les grands personnages ont encore un rôle à
jouer dans la construction de la mémoire collective, affirme
Philippe Joutard. Mais nous avons besoin de réintroduire
les petits groupes dans cette mémoire, des groupes qui,
comme les femmes durant la Révolution française,
ont joué un rôle."
YVON LAROSE
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