Un devoir de vigilance
Le Groupe de recherche multidisciplinaire féministe
fête ses 20 ans mais ses membres s'inquiètent de
la montée d'un masculinisme de droite au Québec
et à l'étranger
Les fondatrices du Groupe de recherche multidisciplinaire
féministe de l'Université Laval auraient pu profiter
du vingtième anniversaire du GREMF pour faire état
de la somme de leurs nombreuses réalisations. Réunies
la semaine dernière pour fêter cet événement
en compagnie d'une centaine d'invités, elles ont plutôt
saisi l'occasion pour évoquer, en table ronde, la fragilité
des acquis en matière de féminisme.
Lorsque des professeures issues du Regroupement des femmes de
l'Université Laval décident de fonder le GREMF
en 1983, la recherche en condition féminine ne fait que
commencer. La mise sur pied de revues comme Recherches féministes
ou les Cahiers de recherche du GREMF leur permet donc
d'unir leurs connaissances et de débroussailler des thèmes
comme l'absence des femmes en politique, le poids économique
du travail invisible accompli par toutes et chacune, ou l'entrée
des femmes sur le marché du travail. Grâce au GREMF
et à ses nombreuses publications, le gouvernement ou les
mouvements féministes pouvaient enfin disposer d'outils
capables de faire évoluer les mentalités ou de
soutenir des revendications, comme l'a rappelé Huguette
Dagenais, professeure au Département d'anthropologie et
une des fondatrices de ce groupe de recherche.
Bien sûr, les thèmes de recherche ont évolué
avec la société. Les sujets, d'abord très
axés autour de la condition féminine, intègrent
aussi désormais celle des hommes. Ainsi, Pierrette Bouchard,
titulaire de la Chaire d'étude Claire-Bonenfant sur la
condition des femmes, s'intéresse à la réussite
scolaire des filles et des garçons et non exclusivement
à celle des écolières. D'autres objets d'étude
font aussi leur apparition comme la mondialisation ou la sexualisation
précoce des petites filles. Cependant, même si elles
se sentent fières des travaux accomplis, les chercheuses
ne pavoisent pas pour autant. Lors de la table ronde, toutes
les participantes ont souligné leur inquiétude
face aux attaques dont le féminisme fait l'objet au Québec
depuis quelques mois.
Les masculinistes au front
"Soyons vigilantes!", a lancé Vivian Barbot,
présidente de la Fédération des femmes du
Québec en dénoncant la montée en puissance
d'un discours passéiste masculiniste. Comme Pierrette
Bouchard, professeure en sciences de l'éducation à
Laval ou Francine Descarries, professeure de sociologie à
l'UQÀM, Vivian Barbot constate que des groupes de plus
en plus nombreux dénoncent la violence des filles, le
parti pris des juges pour la mère lors de la garde des
enfants ou les fondements de l'équité salariale.
"Il faut continuer à militer, à faire oeuvre
d'éducation, rappelle-t-elle, car on est encore loin de
l'égalité entre hommes et femmes. Nos acquis sont
fragiles, on peut tout perdre à la faveur de l'arrivée
d'un mouvement de droite."
Francine Descarries abonde dans le même sens et constate
qu'il devient "presque de bon ton de défendre les
droits des hommes en dénonçant les soi-disant abus
des féministes." Un discours abondamment relayé
selon elle par les médias et des chroniqueuses comme Denise
Bombardier qui accuse les femmes d'avoir lancé la guerre
des sexes et brouillé les identités sexuelles.
Lors d'une recherche sur les groupes masculinistes, Pierrette
Bouchard a d'ailleurs constaté que ce type d'arguments
abonde sur les sites Internet consacrés à ce sujet,
qu'il s'agisse de SOS papa, de Men's rights ou d'Après-rupture.
"Le ressac contre le féminisme n'est pas propre au
Québec", constate la chercheuse qui a répertorié
de nombreux sites provenant de Nouvelle-Zélande, de Grande-Bretagne,
des États-Unis ou de France. Plusieurs thèmes y
reviennent d'ailleurs comme un leitmotiv: le taux élevé
de suicide chez les garçons, leur décrochage scolaire
et le rôle occulté des pères. Au passage,
les groupes masculinistes "nient les écarts de salaire,
les ghettos d'emplois féminins ou le partage inégal
des tâches", remarque Pierrette Bouchard. Selon elle,
il faut dénoncer haut et fort ce lobby en faveur d'un
retour au modèle patriarcal. Et, bien sûr, mobiliser
les troupes pour contrer ce vent de droite.
PASCALE GUÉRICOLAS
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