Essais sur l'essai
Montaigne a beau avoir fourni, avec ses Essais, un
terme rassembleur pour diverses manifestations de la prose réflexive,
la diversité de ces dernières peut toujours rendre
perplexe. Entre les Confessions de Saint Augustin ou de
Rousseau et La défaite de la pensée d'Alain
Finkielkraut, il y a en effet suffisamment d'intermédiaires
pour fragiliser les catégories. Balançant entre
littérature, philosophie et science, l'essai ramène
au vertige devant l'étendue des manières dont on
peut considérer un même objet.
L'anthologie Approches de l'essai (Nota bene) concoctée
par le professeur de littérature François Dumont
est le sixième titre de la collection de poche Visées
critiques, dirigée par Dumont lui-même et dédiée
à la réédition d'essais québécois
qui ont fait date. D'une intention plus générale,
ce choix de textes réunit, sous un mode chronologique,
quelques petits classiques de la réflexion sur l'essai,
offrant le recul nécessaire pour en apprécier la
vastitude. Rapprochant les contributions québécoises
et étrangères, l'ensemble rend disponible tout
ce qu'il faut pour débroussailler le territoire du genre,
dans une progression très pédagogique.
Parmi les auteurs sélectionnés, on en retrouve
plusieurs qui ont eux-mêmes signé des essais remarqués
et marquants. C'est le cas d'incontournables comme Georg Lukács
et Theodor Adorno, de même que des Québécois
Jean Marcel, André Belleau et Marc Angenot. Quant à
Jean Starobinski, il pose à nouveau cette question qui
finit immanquablement par ressurgir: "Peut-on définir
l'essai?" Essais sur l'essai, ces extraits sont exemplaires
du caractère autoréflexif, à la fois subjectif
et objectif de cette forme.
Décrit tour à tour comme essaim de réflexions
et comme une démarche diagonale entre les perspectives
et les disciplines, l'essai inspire ce qui fait de l'exercice
du savoir une chose humaine, et non une abstraction indépendante
de la personnalité des penseurs. À la fois rigoureux
et ouverts dans leurs conclusions, les chefs-d'oeuvre de l'essai
rappellent de plus les liens souterrains entre l'art et la science.
"Malgré la richesse des propositions, écrit
François Dumont dans sa présentation, la caractérisation
de ce genre singulièrement libre et multiforme reste inachevée
- à l'image de l'objet lui-même." Pourtant,
loin de limiter à un constat trop vague, Approches
de l'essai situe progressivement le genre par rapport aux
secteurs qu'il touche, de même que par rapport aux contextes
historiques qu'il a traversés. Au total, s'il y a une
définition de l'essai, on réalise qu'elle est à
trouver dans l'histoire de sa pratique, reflet de tout un pan
de la civilisation occidentale.
D'un format idéal et peu coûteux, ce recueil d'"essais
sur l'essai" s'avère idéal autant pour l'autodidacte
que pour l'enseignant désireux de fournir une entrée
en matière à la fois large et succincte. Il chapeaute
d'ailleurs très bien les autres titres de la collection
(incluant des essais d'André Belleau, Pierre Nepveu, François
Ricard, etc.), lesquels exploitent de manière diversifiée
le matériau très malléable de l'essai.
THIERRY BISSONNETTE
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