LE COURRIER
L'homme à la Winston
Je suis bouleversé d'apprendre le décès
de Carol Levasseur. Son départ symbolise un non-sens et
une perte énorme pour la communauté universitaire,
notamment pour ces futures générations d'étudiants
qui n'auront pas la chance de voir le maître à l'oeuvre.
J'ai eu l'honneur de l'avoir côtoyé à titre
d'étudiant et d'auxiliaire d'enseignement. M. Levasseur
occupera toujours une place de choix dans mes souvenirs universitaires,
puisqu'à chaque rencontre, ce fut une expérience
enrichissante, unique et inoubliable! Accompagné de son
inséparable cigarette Winston, il fascinait par son style
non conforme, sa personnalité mystérieuse, son
savoir inmesurable et surtout son habileté à repousser
nos limites intellectuelles! Il fallait, à cet égard,
l'écouter parler du pouvoir, de la politique spectacle
et de Michel Foucault, définitivement son maître
à penser. Merci pour tout encore!
MARC-ANDRÉ BERGERON
Ottawa
À la mémoire de Carol Levasseur
Mon collègue Carol Levasseur nous a quittés
par une journée froide de février. Le surlendemain,
des étudiants déposaient discrètement une
gerbe de fleurs à sa porte de bureau. Humble témoignage
de respect et d'amitié pour un professeur qui a toujours
été jusqu'à un certain point un des leurs,
sans la démagogie que l'on déplore parfois chez
d'autres, et qui était tout le contraire d'un carriériste.
J'ai connu Carol Levasseur il y plus de trente ans quand nous
terminions tous les deux un cours classique à une institution
qu'on appelait alors le petit Séminaire de Sherbrooke.
Nous avions décidé de nous inscrire à un
programme de science politique et nous nous sommes retrouvés
à l'Université Laval où nous avons partagé
un logis pendant quelques années.
À cette époque et à sa manière, Carol
avait déjà un ascendant sur ses collègues
de classe parce qu'il avait lu davantage et qu'il était
déjà parvenu à organiser son système
de pensée et à développer une vision du
monde qui lui était propre. Il écrivait de façon
superbe et ses analyses étaient fines et souvent brillantes
comme le déclarait par la suite André J. Bélanger,
alors un de nos professeurs les plus sévères, et
comme l'avaient constaté ses collègues de l'équipe
de recherche sur les cultures politiques au Québec dirigée
par Léon Dion.
Carol était également à cette époque
un militant très engagé qui était de toutes
les causes et de tous les combats. Il a pu avoir, à l'occasion,
des comportements qui dérangeaient et pour lesquels il
a parfois payé cher. Il pouvait aussi argumenter sans
fin lorsqu'il était convaincu d'avoir raison. Mais ce
qui était encore plus frappant, c'est qu'il n'a jamais
été un sectaire et qu'il respectait, comme personnes,
ceux et celles qui ne partageaient pas ses idées. Carol
Levasseur est quelqu'un qui est allé au bout de ses idées
comme militant tout en étant toujours profondément
humain dans ses rapports avec les autres.
Après nos études à Laval, j'ai revu Carol
à Paris et il est venu à Genève alors que
nous étions tous deux aux études doctorales en
Europe. Il n'avait pas du tout changé et il continuait
à discourir avec l'humour qui était le sien sur
les grandes choses comme sur les plus petites. Il demeurait aussi
très attachant pour son intérêt face à
des sujets très peu politiques et encore moins théoriques.
Mais il avait déjà commencé à éprouver
des ennuis de santé. Il continuait toutefois à
aider des collègues plus jeunes restés aux études
au Québec en leur suggérant des lectures et en
commentant leurs écrits. Au point où certains d'entre
eux ne sont pas loin de lui devoir leur doctorat.
Revenu à Laval comme professeur, Carol a développé
une personnalité et un rapport avec les étudiants
qui lui était particulier. Comme membre du Département,
mes collègues se rappelleront qu'il n'était pas
particulièrement friand des tâches administratives
et qu'il était toujours sceptique face aux contraintes
bureaucratiques sans toutefois ennuyer constamment les gens à
cet égard. Mes collègues se souviendront aussi
que Carol s'absentait souvent de nos assemblées pour quelques
minutes afin d'aller fumer, oubliant généralement
de revenir à la réunion.
Tout au long de sa carrière par ailleurs, Carol Levasseur
est demeuré fidèle à ses idées et
superbement authentique comme individu. Plusieurs ignorent sans
doute qu'il a contribué financièrement pendant
longtemps à des organisations et des causes qui ont reçu
une partie substantielle de son salaire. Et alors que d'anciens
militants abandonnaient la cause pour les affaires ou la carrière,
Carol ajustait la pensée et le propos mais demeurait fidèle
à ce qui était pour lui l'essentiel. C'est cette
authenticité, j'en suis convaincu, qui lui a valu le respect
de ceux qui l'ont côtoyé tout au long de sa carrière
à Laval.
Carol Levasseur a toujours fait son travail de professeur consciencieusement.
Toujours, il prenait le temps d'écrire des lettres de
recommandation qui permettaient au lecteur de bien voir à
quel étudiant il avait affaire au plan intellectuel. Ses
rapports d'évaluation, pour des thèses de doctorat
ou pour des mémoires de maîtrise, étaient
toujours ainsi faits qu'on pouvait apprécier la justesse
de sa lecture et son constant souci d'aider l'étudiant
ou l'étudiante même s'il ne partageait pas toujours
son point de vue analytique.
La mort d'une personne est parfois l'occasion de tenir des propos
exagérés ou à la limite de la vérité.
Le cas de Carol Levasseur a ceci de particulier que tous ceux
et celles qui l'ont vraiment connu ne peuvent pas ne pas éprouver
un respect profond pour un individu qui est toujours demeuré
fidèle à ses idéaux et qui a toujours été
profondément humain dans ses rapports avec les autres.
Je suis certain que tout le personnel et les étudiants
du Département se joignent à moi pour offrir à
la famille et aux amis de Carol nos sympathies les plus sincères.
GORDON MACE
Département de science politique
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