Compagnons de galère
La bactérie responsable des ulcères d'estomac
sert à retracer les grands mouvements migratoires humains!
Peu importe où l'homme va, il traîne ses problèmes
avec lui. Pour Thierry Wirth, cet état de choses a du
bon puisqu'il lui permet de retracer les grands mouvements migratoires
humains grâce à un marqueur singulier, la bactérie
responsable des ulcères d'estomac, Helicobacter pylori.
De passage à l'Université pour quelques jours,
le généticien des populations, membre de l'équipe
de Daniel Falush de l'Institut Max Planck, a présenté
les détails d'une technique inédite qui permet
d'étudier les déplacements séculaires des
populations humaines par analyse génétique de leur
triste compagne de voyage.
À partir d'échantillons d'Helicobacter prélevés
par endoscopie sur 300 personnes des quatre coins du globe, l'équipe
dont fait partie Thierry Wirth a établi qu'il existe quatre
populations modernes et plusieurs sous-populations distinctes
d'Helicobacter. La répartition géographique de
ces groupes colle avec ce que l'on connaît des grandes
migrations humaines passées et récentes. Les chercheurs
affirment que leur méthode permet de détecter des
événements tels que le peuplement de l'Amérique
il y 13 000 ans, l'expansion bantou en Afrique et l'arrivée
des langues ouraliennes en Europe. La revue Science a
jugé la démonstration suffisamment convaincante
pour la publier en début mars.
Une bactérie dans le baluchon
Helicobacter surpasse tous les microorganismes déjà
utilisés pour suivre les migrations humaines, fait valoir
Thierry Wirth. D'abord, cette bactérie est largement répandue:
elle patauge dans l'estomac d'un humain sur deux, et même
plus dans les pays pauvres. Ensuite, comme elle est transmise
des parents aux enfants par voie oro-fécale, la bactérie
est en quelque sorte héritée, à la façon
d'un gène, plutôt qu'attrapée comme une bactérie
contagieuse. Enfin, la petite bête fait montre d'une grande
variabilité génétique.
Helicobacter est une libre-échangiste qui s'adonne avec
entrain à la recombinaison (échange de matériel
génétique avec d'autres microorganismes). Elle
peut ainsi changer 50 % de son génome dans une période
variant de 50 à 2000 ans. "Ces particularités
la rendent très utile pour distinguer des populations
selon leur origine géographique, mais aussi pour étudier
des événements récents dans les flux migratoires
ou le métissage des populations humaines, précise
Thierry Wirth. On peut même documenter des événements
qui ne se reflètent pas dans les analyses effectuées
à partir de matériel génétique humain."
Le chercheur entend d'ailleurs y avoir recours pour déterminer
combien de vagues migratoires ont eu lieu dans la colonisation
de l'Amérique du Nord par le détroit de Béring.
Thierry Wirth n'en est pas à ses premières armes
dans l'utilisation de marqueurs génétiques pour
étudier les mouvements migratoires. Lors d'un récent
séjour post-doctoral au Département de biologie,
il s'était associé à Louis Bernatchez pour
démolir un mythe concernant les migrations reproductrices
des anguilles. Leur étude a eu un impact sur les opérations
d'ensemencement d'anguilles dans les rivières d'Europe.
Cette fois, en plus de présenter un grand intérêt
pour la génétique humaine et l'anthropologie, ses
travaux risquent d'avoir un impact sur la santé. On sait
qu'il existe des souches d'Helicobacter qui causent davantage
d'ulcères ou de cancers de l'estomac, et que certaines
souches sont résistantes aux traitements, signale-t-il.
En identifiant l'origine et la répartition de ces souches,
on pourrait adapter le traitement épidémiologique
contre Helicobacter en conséquences, propose-t-il.
JEAN HAMANN
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