Chaud devant!
Qui des médias, des scientifiques et des économistes,
peut revendiquer le juste alarmisme en matière de réchauffement
climatique?
Est-ce la faute au mercure qui plongeait allègrement
vers les -30 degrés ou du vent qui lui soufflait ses encouragements
à faire pire, allez savoir, mais le climat du premier
"Bar des sciences" de Québec, présenté
le 12 février par le magazine Québec Science,
était plutôt tempéré. Même si
la formule "Bar des sciences" se veut une occasion
de parler science de façon débridée, en
se déplaçant d'une salle de classe à un
bar et en substituant le café par de la bière,
il n'y a eu ni crêtes de haute pression, ni anticyclones
dans l'agora du Théâtre du Petit Champlain.
La belle unanimité qui régnait parmi les quelque
80 personnes présentes quant à l'existence des
changements climatiques a sans doute contribué à
maintenir les échanges au beau fixe. La question "Sommes-nous
alarmistes?", proposée pour lancer la discussion,
a toutefois laissé place à plus de nuances. Pour
Claude Villeneuve, professeur à l'UQAC et auteur du livre
Vivre les changements climatiques: l'effet de serre expliqué,
il n'est pas alarmiste de dire que le monde ne sera plus ce qu'il
a été au cours des 200 dernières années.
"Par contre, certains scientifiques exagèrent lorsqu'ils
prédisent une catastrophe imminente ou la fin du monde
prochaine. J'ai noté que, depuis quelques mois, l'alarmisme
a changé de bord. Il est maintenant dans le camp de ceux
qui prédisent que le Protocole de Kyoto va mettre l'économie
mondiale à terre."
Auteur de plusieurs ouvrages sur les changements climatiques,
le physicien Robert Kandel, du CNRS en France, juge qu'il ne
faut pas verser dans l'alarmisme, même si les changements
qu'annonce la croissance rapide du dioxyde de carbone dans l'atmosphère
depuis quelques décennies sont alarmants. "Par le
biais de la télé, on assiste maintenant à
toutes les catastrophes climatiques qui surviennent à
travers le monde. Il y a un effet média qui s'ajoute à
l'effet de serre, mais les changements de l'atmosphère
sont bien réels."
Nathalie Barrette, professeure de climatologie au Département
de géographie de l'Université, estime que l'alarmisme
actuel est dans le ton, mais il faut y mettre quelques bémols.
"Si les scénarios prévus par les modèles
climatiques se concrétisent, il y a lieu de s'inquiéter.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que ces modèles
fonctionnent sur la base d'hypothèses autour desquelles
existe un certain degré d'incertitude. On néglige
parfois de présenter les prévisions de changements
climatiques dans ce contexte."
Comme son rôle l'exigeait, Robert Noël de Tilly, de
la Direction des changements climatiques au ministère
de l'Environnement, a défendu la position du gouvernement
du Québec dans ce dossier. "Le Québec a été
la seule province canadienne à appuyer ouvertement l'accord
de Kyoto", a-t-il fièrement rappelé. Attitude
vertueuse, certes, mais peut-être moins méritante
qu'elle n'y paraît considérant la place importante
de l'énergie hydroélectrique dans son bilan énergétique,
a souligné l'animateur du débat, le journaliste
Yannick Villedieu. D'ailleurs, la glace de vertu sur laquelle
patine Québec semble bien mince lorsqu'il flaire des réserves
de gaz naturel dans les fonds marins du Saint-Laurent.
Crier au loup
Pas facile de convaincre la population que le changement
global est un très très lointain cousin de la météo
du jour, ont souligné plusieurs participants. Il suffit
que le mercure demeure sous les -20 degrés pendant
une semaine pour que l'existence d'un réchauffement planétaire
soit mise en doute. "Les modèles climatiques permettent
de dégager les grandes tendances, mais pas de prévoir
les changements à petite échelle, a expliqué
Nathalie Barrette. Leur résolution spatiale n'est pas
assez fine pour établir ce genre de prédictions."
Les gens qui crient au loup tout de suite font une erreur parce
que les changements ne surviennent pas si rapidement, a prévenu
Robert Kandel. Par contre, la moitié de chaque tonne de gaz carbonique qu'on
émet aujourd'hui sera encore dans l'atmosphère
dans 100 ans. "Entre le moment où on plante un olivier
et la première récolte d'olives, il s'écoule
de nombreuses années. Ça ne veut pas dire qu'il
est inutile de planter d'arbres de cette espèce. C'est
la même chose en matière de changements climatiques.
Il faut changer de cap tout de suite au lieu de foncer dans le
brouillard."
La solution viendra en partie d'améliorations technologiques,
qui limiteront l'émission de gaz à effet de serre,
et de changements au mode de vie actuel, ont convenu les participants.
Au Québec, la principale cible est le transport - lire
l'automobile -, responsable de 38 % des émissions de dioxyde
de carbone. "Il faut espérer une bouée technologique
pour nous sauver de la noyade, mais ce ne serait pas une mauvaise
idée d'apprendre à nager tout de suite", a
conclu Nathalie Barrette.
JEAN HAMANN
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