Où est Charlie?
Un Inuit du Nunavik se rend en Amazonie se faire initier aux
pratiques chamaniques par un Shipibo du Pérou
Le chamanisme, cette forme de religion très ancienne et
dynamique dans laquelle la nature, le monde des esprits et la
transe jouent un rôle de premier plan, a complètement
disparu du Grand Nord québécois, ou Nunavik, vers
1930. Pourtant, l'Inuit Charlie Nowkawalk, un travailleur social
du village d'Inukjuak, reste persuadé que les pratiques
chamaniques, qui étaient jadis le seul recours en cas
d'infortune, de malheur et de maladie, peuvent, par les valeurs
qu'elles véhiculent, aider le peuple inuit d'aujourd'hui
dans sa difficile quête identitaire. Mis en contact avec
Guillermo Arevalo, un authentique chamane sud-américain,
il se rend à l'invitation de celui-ci en Amazonie péruvienne,
chez le peuple shipibo, où le chamanisme est toujours
très actif. Il prend part à plusieurs séances
au cours desquelles il communique avec ses ancêtres. Il
rentre ensuite chez lui réconcilié avec son passé,
ses ancêtres et sa culture.
Voilà en résumé le contenu d'un documentaire
qui sera diffusé d'ici quelques semaines par la Société
Radio-Canada. Ce film, intitulé Le voyage de Charlie,
a été réalisé par Stéphane
Bégoin, dans le cadre d'une coproduction Canada-France.
"Charlie est persuadé que les Inuits avaient depuis
des millénaires des contacts privilégiés
avec leur environnement naturel, avec les animaux, avec le climat,
avec le relief", explique Bernard Saladin d'Anglure, professeur
associé au Département d'anthropologie. À
l'instar de sa conjointe Françoise Morin, chercheure associée
au Groupe d'études inuites et circumpolaires, il a agi
comme conseiller scientifique à la scénarisation,
à la réalisation et au montage du film. "Cet
environnement, ajoute-t-il, n'a pas changé et les Inuits
pensent que les esprits y sont toujours présents, mais
que faute de chamanes, qui agissaient comme médiateurs
entre les humains, les animaux et les esprits, on ne sait plus
comment réagir en leur présence."
La visite du chamane
Tout commence à l'été 1999 alors que
le chamane shipibo Guillermo Arevalo, fils et petit-fils de chamane,
est à Beaumont, près de Québec, au domicile
des deux chercheurs de Laval pour écrire, avec leur aide,
son histoire de vie chamanique. Bernard Saladin d'Anglure connaissait
déjà Charlie Nowkawalk qu'il avait mis au courant
de la visite du chamane. Charlie s'intéressait depuis
plusieurs années à la spiritualité et aux
traditions de son peuple. Il téléphone sur ces
entrefaites et, enthousiaste, demande à rencontrer le
chamane. "Guillermo sembla beaucoup apprécier ces
dialogues entre autochtones et leurs échanges furent très
riches et très cordiaux", raconte Bernard Saladin
d'Anglure.
Le tournage débute au printemps 2001 dans le village de
Charlie. En juillet de la même année, l'équipe
de tournage prend l'avion à destination du Pérou.
Au bout d'une semaine dans le petit village de Guillermo Arevalo,
Charlie décide de participer à une première
séance chamanique avec plusieurs patients shipibos. Tentant
d'entrer en contact avec ses ancêtres, il absorbe une petite
dose d'ayahuasca, une boisson faite à partir de plantes
hallucinogènes. "Il nous a raconté le lendemain
avoir vu toutes sortes d'images, explique Bernard Saladin d'Anglure.
Il a vu des animaux, des nuages et, à un moment donné,
il a vu ses ancêtres, de plus en plus nombreux. Les autres
séances qui suivirent ont donné à peu près
le même résultat." D'une durée de deux
à cinq heures, les séances se déroulaient
surtout dans l'obscurité et étaient filmées
intégralement avec une caméra infra-rouge. Le chamane
s'accompagnait de chants improvisés durant ses transes
douces afin d'établir le lien avec les esprits et ce,
en vue d'un effet thérapeutique sur les patients.
"Charlie avait pensé un moment devenir chamane, mais
il ne veut à aucun prix se couper de sa communauté
qui est anglicane, indique Bernard Saladin d'Anglure. Il est
très sollicité et préfère agir auprès
des siens en leur expliquant ce que sont les chamanes, en dédiabolisant
le chamanisme et en revalorisant les ancêtres et le passé."
YVON LAROSE
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