Chemises brunes, rire jaune
Le Théâtre de la Filature propose
Adi ou les quinze dernières minutes de la vie
d'Hitler
Appeler le Führer par son petit nom, Adi, donne immédiatement
le ton à la pièce Adi ou les quinze dernières
minutes de la vie d'Hitler. Le texte de Luc Michaud et d'Élodie
Cuenot, du Théâtre de la Filature, s'efforce de
descendre de son piédestal un dictateur trop souvent élevé
au rang de dieu du mal. En le montrant dans toute son intimité,
en compagnie de sa maîtresse Eva Braun, les deux étudiants
en études théâtrales le ravalent au rang
d'homme ordinaire et, en fin de compte, le démystifient.
Le spectacle transporte les spectateurs dans le blockhaus assiégé
d'Adolf Hitler en 1945, peu de temps avant qu'il ne se suicide.
Le dirigeant d'une Allemagne en perdition vit ses derniers instants
en compagnie de sa maîtresse Eva Braun, de son médecin
et de quelques soldats. Une série de tableaux, souvent
grotesques, illustrent l'absurdité de la vie d'un dictateur
qui a fondé son existence sur l'illusion. Un exemple parmi
tant d'autres: cet être petit et malingre, ravagé
par la maladie, fait la promotion de la race aryenne en s'identifiant
à ses représentants athlétiques. La mise
en scène accentue encore l'aspect grotesque du personnage.
"Son discours, sa démarche sont très hachés
précise Luc Michaud qui incarne Hitler. On a voulu intégrer
aussi le style du cinéma expressionniste de l'époque
qui exagérait les attitudes."
Un propos actuel
À la frontière du spectacle de foire et de
l'expressionnisme, la pièce brosse un tableau sommaire
de la vie d'Hitler, qu'il s'agisse de son enfance à Vienne
en Autriche, de son rôle de soldat lors de la Première
Guerre mondiale ou de son irrésistible ascension du pouvoir.
Pas question pour autant de livrer au public une énième
biographie du dirigeant nazi. Bien résolus à démolir
le personnage par l'absurde, Luc Michaud et Élodie Cuenot
s'attachent à le ridiculiser en exploitant ses travers.
"Le rire jaune, il n'y a rien de plus efficace", souligne
l'étudiante en études théâtrales.
Les créateurs ont ainsi imaginé le dirigeant nazi
se lançant dans une série de blagues plus racistes
les unes que les autres, ou s'essayant à un jeu macabre
dont les dés s'avèrent pipés d'avance pour
les candidats communistes, allemands et juifs.
L'idée d'écrire sur Hitler vient avant tout d'une
passion des deux auteurs pour l'histoire et la Seconde Guerre
mondiale, mais elle découle aussi d'événements
plus contemporains comme le 11 septembre 2001, ou le score électoral
de Jean-Marie Le Pen aux dernières élections présidentielles
françaises. Brusquement, le discours d'extrême droite
à saveur raciste, ou les équations simplistes entre
le nombre d'immigrants et de chômeurs, très prisées
par les nazis, reprenaient une nouvelle actualité. Luc
Michaud et Élodie Cuenot ont donc énormément
lu sur leur personnage, se risquant même à lire
son ouvrage de référence Mein Kampf, malgré
son caractère insoutenable, avant de s'aventurer dans
l'aventure de l'écriture. Une aventure qui a pris plus
de sept mois.
"Le travail a évolué très lentement,
explique Luc Michaud, car il fallait que chaque mot sonne juste,
qu'il ne dénature pas Hitler sans se limiter à
son discours antisémite trop souvent rabâché."
D'abord montée comme un travail de laboratoire présenté
en mai dernier, la pièce a pris un nouvel envol à
la suite du succès inattendu qu'elle a remporté.
Le vu le plus cher de ses concepteurs? Que les spectateurs comprennent
que l'extrémisme ne relève pas seulement du passé.
Autrement dit, même si Adi n'a pas vu la fin de la Seconde
Guerre mondiale, d'autres dictateurs ont déjà vu
le jour.
Adi ou les quinze dernières minutes d'Hitler, par
le Théâtre de la Filature. Représentations
au Théâtre de Poche, pavillon Maurice-Pollack, les
30 et 31 janvier et le 1er février, à 20 h. Billets
en prévente au BASC, local 2344, pavillon A.-Desjardins,
au coût de 8 $. À l'entrée: 10 $.
PASCALE GUÉRICOLAS
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