Vers une guerre civile mondiale?
Le plus récent livre d'Albert Legault nous éclaire
sur la politique étrangère américaine, tout
en exposant les incertitudes auxquelles elle doit faire face
Les attentats du 11 septembre n'ont pas fait que radicaliser
des tensions déjà bien réelles: ils ont
révélé davantage les transformations de
l'échiquier des relations internationales depuis la fin
de la Guerre froide. Loin d'assister à un simple changement
de polarisation, nous sommes désormais plongés
dans une opposition entre une puissance inégalée
et un adversaire diffus, mouvant, multiforme.
Ici, le recours à des concepts déjà élaborés
confine presque automatiquement à la superficialité.
Pour une réflexion dynamique et ouverte, il faut accompagner
Albert Legault dans son récent livre La lutte antiterroriste
ou La tentation démocratique autoritaire. "En
réalité, nous dit Legault, si les attentats terroristes
devaient se poursuivre dans l'avenir avec la même intensité
et les mêmes résultats désastreux pour la
population, on serait en droit de penser que nous entrons dans
une ère de violence inconnue que l'on pourrait définir
comme une "guerre civile mondiale" (p. 18).
Sans se limiter à ce schéma catastrophique, l'auteur
d'Une diplomatie de l'espoir (1989) fournit une synthèse
très utile pour saisir toute la difficulté d'interpréter
la croisade en cours, où les États-Unis pourchassent
la nébuleuse terroriste tout en menaçant d'authentiques
États, jugés "voyous". Dans son nouveau
livre, Legault reprend notamment une série de textes publiés
dans le journal Le Devoir, lesquels sont annotés
et entourés d'un état des lieux beaucoup plus complet,
ainsi que d'une panoplie d'hypothèses et de pistes de
réflexion. En à peine 160 pages, on apprend à
déconstruire nombre d'amalgames et à moins simplifier
les impacts possibles d'une autre guerre contre l'Irak.
À rebours d'une certaine propagande, on rappelle ici l'illusion
d'une sécurité durable axée sur la violence
préventive. Sans démoniser outre mesure les États-Unis,
Legault tente de dégager certains excès possibles
de la part d'un président dont on ne connaît les
motivations que très partiellement, et qui pourrait passer
à l'histoire comme "l'un des plus grands présidents
idéalistes de l'Amérique". Désireux
de venger le "Pearl Harbour technologique" vécu
par son peuple en 2001, George W. Bush n'a en effet pas hésité
à parler de ses initiatives comme d'une guerre du Bien
contre le Mal. Un manichéisme qui fait perdre de vue un
autre type d'action: celle, non violente, qui sera nécessaire
sur le plan de l'économie mondiale pour diminuer l'animosité
des bassins anti-occidentaux. "Après Wilson, qui
au début du siècle dernier a fait la Première
Guerre mondiale pour mettre fin à la guerre, nous nous
retrouvons, près de cent ans plus tard, face à
un président habité par des rêves idéalistes
et utopiques: croire que l'on peut amener le reste de la planète
à penser comme soi." (p. 138).
Albert Legault, qui enseigne aujourd'hui à l'UQAM, a dirigé,
de 1997 à 2000, l'Institut québécois des
hautes études internationales de l'Université
Laval. L' organisme vient d'ailleurs de publier un numéro
spécial de la revue Études internationales
qui fournit un bon complément de lecture à La
tentation démocratique autoritaire. Sur le thème
"Les défis de la politique étrangère
du Canada depuis le 11 septembre 2001", ce numéro
dirigé par Jean-Sébastien Rioux permet de mieux
comprendre la place du Canada dans le labyrinthe diplomatique
en cours.
THIERRY BISSONNETTE
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