De l'intime à l'universel
Jean Désy pratique la littérature
comme la médecine: avec coeur et science à la fois
Il habite actuellement l'Île d'Orléans, mais
ce n'est là qu'un transit parmi d'autres. Enseignant à
la Faculté de médecine, Jean Désy voyage
en effet régulièrement d'une région à
l'autre, mais aussi entre différents rôles sociaux.
Lorsqu'il va dans le Grand Nord par exemple, il redevient ce
chaleureux homme-médecine qui refuse de séparer
le traitement physique de la relation humaine instaurée
avec le patient. Et depuis 1986, c'est l'écriture qui
est devenue sa passion première, les livres s'étant
accumulés au rythme moyen d'un par année.
Pour ce médecin diplômé en philosophie et
en littérature, la nordicité provoque un authentique
état d'amour, malgré ses rigueurs et la lucidité
qu'elle impose. C'est d'ailleurs le Nord qui a monopolisé
la plus grande partie des voyages de Jean Désy, de même
que plusieurs de ses recueils de poèmes, carnets de voyage,
recueils de nouvelles et romans. Baie Victor (1992), Kavisilaq
/ Impressions nordiques (1992),Voyage au nord du Nord
(1993), Ô Nord, mon Amour (1998), Nunavik / Carnets
de l'Ungava (2000), Le coureur de froid (2001), ce
sont là quelques maillons représentatifs d'un parcours
qui se poursuit maintenant avec l'essai-récit Du fond
de ma cabane, sous-titré Éloge de la forêt
et du sacré, publié chez XYZ Éditeur.
Vous êtes dans une cabane
Rédigé à la deuxième personne
du pluriel, l'ouvrage est à la fois un récit autour
d'une retraite en nature et une réflexion beaucoup plus
large, tentaculaire. De l'intime à l'universel, on y voit
se conjuguer un homme vulnérable, un prof, un scribe à
tendance visionnaire, mais aussi un père. "L'envie
que j'avais au départ était d'écrire à
mes deux fils, se rappelle l'auteur. C'est avec eux que j'ai
bâti cette cabane au nord de Portneuf, qui est le lieu
où on se retrouve avec le plus d'intimité. Cette
cabane leur appartient bien plus que la maison que j'habite à
l'Île d'Orléans. En cours d'écriture, ce
vous s'est métamorphosé, devenant le lecteur,
ramenant aussi au je."
Dans la lignée de l'Américain Henry David Thoreau,
dont il a dévoré le journal intime, Désy
profite de ses retraites sylvestres pour mieux saisir la société
actuelle, tourmente postmoderne dont il ne saurait s'échapper
totalement. D'un chapitre à un autre, on passe ainsi de
l'alpinisme amateur à une difficile randonnée en
motoneige, autant d'occasions pour l'écrivain d'interroger
le rapport entre nature et culture. Conscient de l'apport irréversible
de la technologie, pas du tout désireux du statut d'ermite,
il plaide simplement pour un équilibre pressant: "Si
la poésie ne vient pas équilibrer l'univers de
la science, je ne suis pas sûr qu'on s'en sorte dans les
dix prochaines années. La disharmonie science-poésie,
c'est un mal en soi." Homme de terrain, Jean Désy
conçoit la société humaine comme chacun
de ses patients, c'est-à-dire comme un tout. Les justifications
de son attitude ne manquent pas: "On est tous désemparés
devant un phénomène comme le clonage. Je suis loin
de ne pas apprécier les mérites de la science,
mais peut-être qu'en donnant autant d'énergie aux
écrivains qu'aux scientifiques, on serait mieux en mesure
d'appréhender certaines questions."
Actuellement, l'auteur prépare un livre autour de son
périple chez les Maoris, en Nouvelle-Zélande, alors
qu'il vient de proposer à la Faculté de médecine
un cours original intitulé "Souffrance, littérature
et humanisme". Il reste à espérer que le besoin
transdisciplinaire mis en évidence par ses tribulations
reçoive un écho académique. En attendant,
même s'il se déclare envoûté par l'enseignement,
les priorités de Jean Désy sont absolument claires:
"Les deux choses les plus essentielles pour moi, c'est d'abord
d'être disponible pour mes enfants, puis l'écriture."
THIERRY BISSONNETTE
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