"Un mort de plus, c'est un mort de trop"
Une guerre en Irak serait-elle une guerre juste? Le Canada
doit-il s'engager dans ce conflit?
C'est quasiment à l'unanimité que les invités
et le public, qui assistaient au débat de la série
"Participe présent", le 13 janvier, au Musée
de la civilisation, ont répondu à la négative
à la question "Le Canada doit-il faire la guerre
à l'Irak?" Un seul des participants a exprimé
une opinion contraire. Nuance importante, le politologue Sami
Aoun, professeur de science politique à l'Université
de Sherbrooke, ne soutient pas la volonté va-t'en-guerre
d'un George W. Bush, mais il constate que l'opposition irakienne
en exil souhaite que les Américains aident l'Irak à
se débarrasser du régime de Saddam Hussein.
Qu'ils se définissent comme des observateurs de l'actualité
internationale comme Albert Legault, longtemps professeur au
Département de science politique de l'Université
Laval et aujourd'hui titulaire d'une chaire à l'UQAM,
ou défenseur des populations victimes des grands enjeux
mondiaux comme Amir Khadir, médecin à l'Hôpital
Pierre-Le Gardeur à Repentigny, les participants au débat
partageaient une même conviction: la guerre en Irak n'a
rien d'une guerre juste. "Un mort de plus que les 500 000
qui ont déjà péri depuis le début
des sanctions prises contre l'Irak, c'est un mort de trop, affirme
Albert Legault. Il faut donner du temps au temps. ". Le
politologue constate en effet que les États-Unis n'ont
pas encore épuisé tous les recours diplomatiques
possibles avant de déclarer la guerre.
Amir Khadir, qui a effectué une mission en Irak en décembre
dernier avec Médecins du monde, a rappelé les dommages
déjà subis par ce pays, dont la mortalité
infantile a plus que triplé en quelques années.
"Les sanctions, imposées par les différents
pays, y compris le Canada, provoquent déjà la mort
de 200 à 240 enfants chaque jour. Quand va t-on arrêter
la guerre, arrêter ce crime?" demande-t-il. Michaël
Lessard, étudiant en relations internationales à
l'Université Laval et membre de la coalition Québec-Irak,
partage les mêmes convictions que le médecin. Selon
lui, les citoyens doivent pousser le Canada à aider les
populations civiles en Irak par des projets de coopération,
et militer pour la levée des sanctions économiques.
Un changement de régime pourrait alors survenir.
La guerre, accoucheuse d'histoire
Ce type de scénario laisse plutôt sceptique
Sami Aoun, spécialiste de l'islamisme. À l'entendre,
depuis deux siècles il a fallu une intervention extérieure
pour provoquer des changements dans les pays arabes. Cela explique,
selon lui, le revirement de forces d'opposition irakienne comme
les Kurdes, traditionnellement plus socialistes, qui voient l'alliance
avec les États-Unis comme une opportunité pour
renverser enfin le régime du dictateur Saddam Hussein.
"La guerre est une accoucheuse de l'histoire, de nouvelles
réalités", soutient ce professeur qui indique
que le Canada pourrait ensuite participer à la reconstruction
de l'Irak.
Cette idée d'une population civile irakienne en faveur
de la guerre va à l'encontre des opinions entendues par
Amir Khadir lors de son dernier séjour en Irak. Selon
lui, les Irakiens craignent de voir les Américains débarquer
dans leur pays pour tout contrôler, et les citoyens des
États-Unis doivent s'inspirer des Canadiens pour changer
de perspective, ou encore utiliser leur sens pragmatique pour
refuser une guerre en Irak. Comme l'a indiqué un intervenant
du public, le Canada ne doit avoir aucune crainte à pas
soutenir les États-Unis dans ce conflit. "Lorsque
nous les avons appuyés dans leur lutte contre le terrorisme,
ils nous répondu en appliquant des sanctions contre le
bois d'uvre", a t-il rappelé.
Plusieurs des invités au débat ont donc appelé
la population canadienne à se mobiliser pour indiquer
clairement au gouvernement son refus de participer à une
guerre contre l'Irak. Même si l'efficacité des manifestations
populaires laisse Albert Legault sceptique, le politologue rappelle
l'importance de l'expression des citoyens, et surtout le rôle
que le Canada pourrait jouer dans d'éventuelles négociations
visant à l'exil de Saddam Hussein. Soulignant les déclarations
de l'Arabie Saoudite sur un éventuel départ du
dictateur, il indique qu'il faut profiter de l'occasion pour
engager des pourparlers à ce sujet avec les pays arabes.
Pour ce faire, le Canada devrait peut-être d'abord connaître
un changement de garde, puisque, comme l'a rappelé Albert
Legault, le premier ministre actuel n'a jamais fait preuve de
créativité en matière de politique étrangère.
PASCALE GUÉRICOLAS
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