LE COURRIER
Raël: vérité, mensonge ou délire?
Plus Claude Vorilhon semble heureux, plus je suis inquiet.
On n'a jamais autant parlé des raëliens depuis qu'ils
prétendent avoir cloné des humains. Il me semble
utile de rappeler qui est ce personnage et sur quoi repose toute
son entreprise. Claude Vorilhon est un ex-journaliste sportif
et un ex-chanteur, vaguement imitateur de Brel, qui prétend
avoir rencontré des extraterrestres quelque part en France
en 1973 (cette rencontre aurait bien sûr eu lieu durant
la nuit, dans un lieu isolé et sans témoin).
S'il a vraiment rencontré des extraterrestres, ce qu'il
raconte est une vérité absolument extraordinaire
et toute l'entreprise qu'il a établie, suite à
ce présumé événement fondateur de
sa secte, mériterait l'attention qu'elle reçoit.
Mais, si Claude Vorilhon n'a pas rencontré d'extraterrestres,
alors il n'est qu'un ex-chanteur sans succès. Il connaît
par contre, pour le moment, un succès substantiel comme
habile exploiteur de la crédulité, des doutes,
des craintes et des aspirations existentielles de l'humanité.
S'il n'a pas rencontré d'extraterrestres, ce qu'il raconte
c'est soit du mensonge, soit du délire, lui seul le sait.
Tant qu'il ne donne pas de preuves extraordinairement solides
et irréfutables d'avoir rencontré des extraterrestres,
lui qui se prétend scientifique, comprend sûrement
que la plupart des gens ridiculisent son histoire d'extraterrestres
et tout ce qui en découle.
Ce qui me surprend, m'attriste et m'inquiète c'est que
malgré tout, des milliers de raëliens semblent croire
ce qu'il raconte, alors que c'est du même ordre que de
croire au Père Noël. Ce qui me surprend et m'inquiète
encore plus c'est qu'on lui prête autant d'attention sans
d'abord avoir réglé la question première
à savoir si oui ou non il a rencontré des extraterrestres.
C'est comme si on ne se souciait pas de faire la distinction
entre la vérité et le mensonge ou entre la réalité
et la fiction.
Claude Vorilhon a de plus en plus de visibilité (il déclasse
la guerre en Irak à la une des journaux), de pouvoir (il
réussit à imposer aux médias qu'on le nomme
" Raël "), d'influence (il fait réagir
le Pape et les présidents Chirac et Bush)et de plus en
plus d'adeptes et d'argent (si on en croit ce qu'il raconte à
la télévision depuis quelques semaines). Pour moi,
son succès est une insulte à la raison, à
l'intelligence et à la vérité puisque tout
ce que sont le dénommé " Raël "
et le mouvement raëlien repose en entier sur la question
de savoir si la présumée rencontre avec des extraterrestres
en 1973 est une vérité, un mensonge ou du délire.
Quand je vois Claude Vorilhon et la chimiste raëlienne Brigitte
Boisselier à la télévision, le sourire fendu
jusqu'aux oreilles, parler de cloner des humains avec la même
désinvolture que vous et moi parlerions de se brosser
les dents, le citoyen, l'humaniste et le scientifique que je
suis ont peur et se sentent révoltés.
La secte raëlienne, comme les autres sectes semblables,
se réclament à juste titre du droit à la
liberté d'expression. Mais elles sont comme un cancer
de la société civilisée qui leur accorde
ce droit. A court terme on peut être tenté d'ignorer
la tumeur ou de la considérer inoffensive, mais à
plus long terme je crois qu'on a tout à gagner à
s'en préoccuper et à s'en occuper au grand jour
plutôt que de la laisser proliférer sournoisement
dans l'ombre.
Un monde où prospèrent les Claude Vorilhon est
un monde déprimant et inquiétant. C'est un retour
vers la noirceur, les peurs et les superstitions du Moyen-Age.
C'est un monde où la vérité et la raison
ne sont que deux des premières, et peut-être les
plus tragiques des victimes.
CYRILLE BARRETTE
Professeur
Département de biologie
Donnons la parole aux bioéthiciens
Les propos des deux chercheurs rapportés dans le dernier
numéro du journal Au fil des événements
et portant le titre suivant: "Pomme de discorde génétiquement
modifiée" m'apparaissent un peu vaniteux, contradictoires
et quelque peu méprisants envers les éthiciens
et ceux qui s'intéressent à l'éthique.
Pour connaître les impacts environnementaux associés
aux cultures transgéniques, bien sûr qu'il faut
connaître les plantes transgéniques mais il faut
aussi avoir des connaissances sur la biodiversité, sur
les effets à moyens et à longs termes sur les écosystèmes,
sur les valeurs sociétales à protéger...
qui ne sont pas des savoirs exclusifs aux généticiens.
Dominique Michaud affirme pouvoir éviter la subjectivité
par ses méthodes de travail, ce qui est vrai sans doute
pour le déroulement de l'étude mais moins certain
quant à la couleur que pourront prendre les conclusions
ou les recommandations. Il me semble qu'il est normal de penser
qu'une telle étude aurait eu avantage à être
conduite par des personnes compétentes non impliquées
directement dans de telles recherches.
L'auteur de l'article souligne avec raison qu'il faut se questionner
sur la disparition de la "race des libres-penseurs"
des universités suite aux partenariats avec l'industrie
et aussi, faut-il noter, à la naissance de compagnies
au sein même des institutions de recherche. Comment un
chercheur universitaire dirigeant d'une entreprise peut-il départager
les intérêts de la société et ceux
de sa compagnie ? Quand les enjeux portent sur les intérêts
de l'entreprise et celles de l'individu, le chef d'entreprise
n'est-il pas en réel conflit d'Intérêts ?
Le chercheur, dans cette situation, est comme le chef d'une entreprise
dont la fidélité, le talent et les aptitudes sont
d'abord au service des actionnaires de la compagnie même
si les discours et les publicités ont tendance à
laisser croire le contraire. Qui ne se rappelle pas des propos
du président de Monsanto qui affirmait que les succès
de son entreprise permettraient un jour de solutionner les problèmes
liés à la faim dans le monde? C'est une forme de
démagogie que les partisans de la "science à
tout prix" utilisent trop souvent pour défendre leurs
propres intérêts.
Je suis avec intérêt et depuis plusieurs années
les dossiers, les débats et les discussions sur la transgénèse
et le clonage et les arguments de certains scientifiques font
rarement appel aux valeurs fondamentales et plus souvent à
des arguments de l'ordre des émotions. Un généticien
universitaire offre régulièrement en réponse
à certaines questions qui lui sont posées des réponses
comme celles-ci : "Ne seriez-vous pas contents qu'on trouve
un moyen de transplanter un organe à un de vos enfants
qui risque de mourir autrement?".
Pour sa part, Raymond Lambert affirme: "Personne ne peut
prétendre à l'impartialité totale"
et, du même coup, il affaiblit les arguments de Dominique
Michaud concernant l'objectivité de ses travaux. Mais
ce sont ses propos sur les éthiciens qui m'ont le plus
surpris. D'une part, quand il dit "qu'il faudrait un temps
fou pour se familiariser avec le sujet", je réponds
que je réussis très bien avec l'aide d'un collègue
généticien à faire assimiler en quelques
heures les notions essentielles sur le clonage reproductif et
thérapeutique à de futurs enseignants et enseignantes
de secondaire qui n'ont derrière eux que quelques cours
de biologie. Leurs réponses aux examens m'indiquent qu'ils
ont très bien compris les sujets et même saisi les
enjeux éthiques.
Pour atteindre la vérité en science et en éthique,
on utilise les mêmes outils et les scientifiques qui jouent
aux éthiciens ne sont pas plus crédibles que les
éthiciens qui discutent des sujets scientifiques sans
rien en connaître. Mais, ce que devrait savoir Raymond
Lambert, c'est que l'éthique a pour premier objectif de
questionner et de mettre en perspective avec les outils appropriés
les enjeux en fonction des valeurs sociétales aussi bien
qu'individuelles. La lecture des travaux et des ouvrages en éthique
montre qu'ils font comme les scientifiques et utilisent des "chiffres"
et non seulement des "concepts et des énoncés".
Il faudrait parfois donner la parole aux bioéthiciens
dont plusieurs ont une double formation soit en sciences biologiques
et en éthique et je sais qu'ils peuvent, à la manière
des scientifiques, faire preuve de "compétences et
d'intégrité".
ANDRÉ DUVAL
Ph.D. Professeur titulaire en biologie et
étudiant à la maîtrise en éthique
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