9 janvier 2003 |
Contrairement à certains préjugés, la douceur morale n'a rien à voir avec une quelconque faiblesse de caractère. Il s'agit en fait d'une véritable force. Engendrant une profonde tranquillité de l'âme, elle permet d'affronter de manière digne, c'est-à-dire sans violence et ce, aussi bien en actes qu'en paroles, les différentes manifestations du mal (injustices, mépris, difficultés, peines, etc.). Ce sujet, l'étudiante au doctorat en philosophie Joane Rochefort en a fait l'objet de sa thèse qu'elle a soutenue, le vendredi 13 décembre. "Le thème de la douceur morale est inépuisable et il m'a passionnée, indique-t-elle. Étudier la douceur est un enrichissement parce que l'on trouve toujours des liens à faire avec la vie concrète. C'est actuel, c'est une action." Les penseurs grecs et romains de l'Antiquité qui ont étudié la douceur morale, de même que certains exégètes de l'Ancien et du Nouveau Testament, sont unanimes: il s'agit d'une attitude éthique intimement liée à la sagesse. Reflet de la dignité humaine, également l'un des fondements de la société, la douceur assure l'harmonie sociale. Son contraire, que ce soit la colère, la haine, la vengeance, l'injure ou l'agression, détruit. Associée à la bienveillance, à la bienfaisance et à l'amour, la douceur se caractérise par un refus absolu de faire le mal et par un profond respect de l'autre.
Continuum historique
D'Homère à saint François de Sales, soit
du 9e siècle avant Jésus-Christ jusqu'au 17e siècle
de notre ère, la notion de douceur morale a suivi un très
long parcours. "Ce que j'ai beaucoup aimé est qu'il
y a comme une progression, souligne Joane Rochefort. Chaque auteur
a lu ses prédécesseurs et apporté une certaine
originalité. On voit bien le fil conducteur entre chacun."
Dans l'optique de Platon, l'on peut être à la fois
doux et irascible. Cette douceur naturelle a alors besoin de l'éducation
pour s'épanouir. Le premier, Aristote fait de la douceur
une vertu. Il affirme qu'elle découle de l'habitude à
agir avec douceur et ce, par suite d'un choix rationnel. Les derniers
stoïciens romains voient en la douceur un acte inspiré
de l'amour de l'humanité. Cicéron parle d'un devoir
de douceur et déplore la dureté des passions de
l'âme. Il croit cependant qu'il faut riposter à l'injustice
avec une juste sévérité, mais jamais avec
colère. L'empereur Marc-Aurèle, lui, prône
"une inébranlable douceur" à l'endroit
de celui ou de celle qui fait obstacle à la sociabilité
humaine.
Réagir au mal reçu
La sagesse biblique fait une place prédominante à
la douceur et ce, pour l'amour de Dieu. Cette façon de
voir s'est particulièrement incarnée en Jésus
de Nazareth, un être "doux et humble de cur",
voire un "esprit de douceur" à l'image de son
Père. Avant lui, et tel que relaté dans l'Ancien
Testament, la douceur brillait déjà avec beaucoup
d'éclat. "Cette forme de douceur est combative, explique
Joane Rochefort. Sans haine ni sentiment de vengeance, elle affronte
et rend le mal reçu. En cela, elle diffère de la
définition des auteurs chrétiens. Si la tradition
biblique consiste à ne pas rendre plus que le mal reçu,
la douceur chrétienne va plus loin et supporte les injures
et les coups sans jamais rendre le mal reçu."
Les auteurs chrétiens, dont saint Augustin et saint Thomas
d'Aquin, ont pour l'essentiel ajouté la dimension de la
piété à la notion de douceur morale. Sur
saint François de Sales, Joane Rochefort dira qu'il nous
a laissé la plus exquise évocation de la douceur.
"Il a traduit avec finesse la notion de douceur du cur incarnée
par Jésus. Le premier, il parle de la douceur envers soi-même
relativement à nos imperfections, nos fautes, etc. Il a
eu cette phrase admirable: "Je vous écris d'un coeur
qui s'adresse au coeur"." Sur le manque de douceur qui
afflige notre époque, Joane Rochefort a le commentaire
suivant: "Avec son idéal de dureté, notre société
ignore trop souvent que les contraires de la douceur resteront
toujours les armes de la faiblesse."
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