9 janvier 2003 |
Pour l'abolition des frais de scolarité à l'université
L'abolition des frais de scolarité à l'université
n'est pas une mesure irréaliste à terme. Ce devrait
même être un impératif démocratique,
dans une société où les savoirs sont des
enjeux de pouvoir majeurs. Outre les considérations sociétales
cependant, l'abolition des frais de scolarité n'est pas
une mesure impossible à réaliser, loin de là.
Tout d'abord, une distinction importante s'impose: celle entre
le coût budgétaire et le coût économique.
La dépense budgétaire d'une telle mesure est d'environ
300 millions de dollars1. On pourrait imaginer un plan de réduction
des frais de scolarité sur 5 ans, la durée d'un
mandat gouvernemental, durant lequel les frais seraient réduits
de 20 % par année, pour des dépenses annuelles de
60 millions de dollars annuellement pour le gouvernement. Mais
le coût budgétaire total serait d'un peu moins que
cela, peut-être de 55 millions de dollars, voire moins,
puisque l'abolition des droits de scolarité à l'université
permettrait aussi de réaliser certaines économies
budgétaires pour l'État: l'enveloppe financière
de l'aide financière aux études (AFE) diminuerait,
à cause des frais d'administration moindres, mais aussi
à cause de la diminution des intérêts payés
par le gouvernement sur les prêts étudiants. (Les
administrations universitaires sauveraient sans doute aussi quelques
sous).
En ce qui concerne les coûts économiques, nous considérons
que la société du savoir a besoin de gens éduqués.
Plusieurs des nouveaux emplois créés sur le marché
nécessitent une formation universitaire2: "à
peu près tous les nouveaux emplois au Canada ont été
des emplois de professionnel et de gestionnaire, lesquels exigent
un titre scolaire élevé. Le nombre d'emplois de
professionnel et de gestionnaire a augmenté de 780 000
entre 1989 et 1998, tandis qu'il a diminué dans la plupart
des autres secteurs"3. Aussi, l'abolition des droits de scolarité,
jumelée à un contingentement minimal pour maintenir
le niveau actuel des effectifs étudiants, favoriserait
l'excellence à l'université. Beaucoup d'étudiants
décrochent pour des raisons financières, particulièrement
aux cycles supérieurs.
En fait, nous avons présentement une logique d'accessibilité
hybride, où les étudiants sont sélectionnés
formellement selon des critères académiques, mais
socialement selon des critères économiques. Nous
considérons que les étudiants les plus aisés
ne sont pas nécessairement les meilleurs et nous soutenons
que l'accessibilité aux études universitaires est
l'une des meilleures garanties pour assurer une plus grande équité
entre les différentes classes sociales. En ce sens, le
principe de gratuité scolaire défendu par la société
québécoise depuis 40 ans doit se concrétiser.
De plus, l'accessibilité sur la base de l'excellence académique
permettrait à plus d'étudiants internationaux de
venir étudier ici, ce qui permettrait au Québec
de tisser davantage de liens culturels et économiques avec
d'autres pays. Présentement, ces étudiants paient
quelques 8 000 $. En plus de bloquer l'accès à plusieurs
de ces étudiants et de les faire vivre dans des conditions
difficiles, ces sommes représentent une injustice envers
l'ensemble des pays économiquement sous-développés
et ne sont, de surcroît, pas nécessaires si l'on
considère l'apport culturel et économique de ces
nations. L'abolition des frais de scolarité représente
donc non seulement un allègement de la tâche administrative
dans les universités et une plus grande accessibilité
à la société québécoise en
général, mais il s'agit également d'une contribution
pour soutenir les communautés internationales en émergence,
un apport culturel pour notre société et un outil
pour faciliter les échanges.
Finalement, revenons à notre économie. Disons simplement
que les étudiants québécois risquent d'avoir
une vie financière moins précaire. Certains en profiteront
pour moins travailler à l'extérieur et se concentrer
sur leurs études. D'autres, s'impliqueront socialement,
alors que certains dépenseront autant, mais ce ne sera
pas en frais de scolarité. Ce sera en nourriture, en logement,
etc.
Ce que nous devons comprendre, c'est que toutes ces activités
sont profitables, à long terme, à moyen terme ou
à court terme pour la société et son économie.
Ce qui est certain, c'est que le coût économique,
quoique difficile à évaluer, demeure inférieur
aux 300 millions susmentionnés et, à long terme,
il pourrait bien s'agir d'un investissement fort rentable ainsi
que d'une plus-value socioéconomique. Les Indicateurs de
l'éducation 2002 nous disent que les droits de scolarité
(qui incluent les frais afférents depuis 1994-1995) sont
de 1 691 $ par étudiant en équivalence au temps
complet (EETC) sur une dépense globale de 16 550 $/EETC,
soit 9,3 % du total. Or, le gouvernement québécois
a contribué à 55 % du financement des universités
en 2000-2001, ce qui ramène à 5,6 % la part des
étudiants dans le financement de ces dernières.
Pis encore, les données de la CRÉPUQ4 indiquent
qu'en 1999-2000, le montant payé par les étudiants,
en dollars constants, était inférieur à celui
payé en 1970!
Considérant la très faible part du financement des
étudiants dans le système universitaire québécois,
il ne semble plus nécessaire de le conserver. Nous sommes
à deux doigts de faire uvre de différence en Amérique
du Nord et d'être la seule nation à mettre en application
le droit à l'éducation sur la seule base du mérite
et de la persistance, tel que consigné dans l'article 26
de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Pourquoi
ne pas y aller jusqu'au bout?
Terminons en disant que le passage d'un système à
un autre doit être raisonné, ce qui signifie réglementé.
Outre le maintien des effectifs totaux étudiants au Québec,
un autre principe devrait être celui d'un seul baccalauréat,
d'une seule maîtrise et d'un seul doctorat gratuit, avec
une légère marge de manuvre, sans payer de droits
de scolarité. Autrement dit, toute personne devrait avoir
le droit de faire le nombre d'années requises pour un diplôme
universitaire de premier cycle plus une session, gratuitement.
Par la suite, des frais raisonnables seraient imposés pour
ceux qui veulent en faire davantage. Ceux qui veulent continuer
à la maîtrise et qui y seraient admis auraient droit
à deux années et demi et les chercheurs-étudiants
au doctorat, à quatre années et demie.
Voilà donc: l'éducation supérieure accessible
à tous, plus efficiente, économiquement profitable
à long terme, et ce, sans perdre notre chemise: rappelons
que récemment, près de 380 millions de dollars ont
été annoncés pour l'achat de manuels scolaires
dans les commissions scolaires. C'est en comparant le coût
relatif de l'accessibilité et en connaissant les bénéfices
sociaux et économiques qui lui sont liés que nous
proposons cette orientation. À notre avis, ce projet demeure
fort réaliste pour un gouvernement qui a une vision d'avenir
pour le Québec et qui souhaite contribuer à son
édification.
1. Ministère de l'Éducation du Québec
(2002). Indicateurs de l'éducation, Québec
: Direction des communications.
2. La revue Jobboom va jusqu'à écrire que la moitié
des emplois créés nécessitent une formation
universitaire: http://www.jobboom.com/trucs/formations_enrichit_01_pop.html.
3. Statistiques Canada (2000). La formation universitaire:
tendances récentes quant à la participation, l'accessibilité
et les avantages, Revue trimestrielle de l'éducation,
volume 6, numéro 4, p. 8.
4. CRÉPUQ (1999). Quelques données et indicateurs
significatifs sur le système universitaire québécois,
Québec : CRÉPUQ.
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