9 janvier 2003 |
En 2003, l'universitaire neutre et indépendant existe-t-il
encore? Dominique Michaud, professeur au Département de
phytologie, le croit. Il estime même en être un, quoi
qu'en pense Greenpeace. L'automne dernier, bien malgré
lui, cet expert en plantes transgéniques s'est retrouvé
sous les projecteurs des médias en raison d'une dispute
l'opposant au groupe écologiste.
Au début octobre, au terme d'un appel d'offres, le ministère
de l'Environnement annonçait qu'il octroyait 198 000 $
à Dominique Michaud et à trois de ses collègues
pour réaliser une étude sur les "Impacts environnementaux
associés aux cultures transgéniques". L'étude
en question doit dresser le bilan des impacts causés par
les plantes transgéniques résistantes aux herbicides
ou aux insectes sur l'environnement afin de "donner l'heure
juste sur les avantages et les dangers potentiels de ce type de
culture sur l'environnement, avant d'en promouvoir l'extension
à grande échelle", peut-on lire dans le communiqué
du ministère. Réaction indignée de Greenpeace
dans les médias: on vient de remettre les clés de
la bergerie au loup!
Le 13 novembre, le groupe écologiste demande l'annulation
du contrat accordé à ce chercheur "connu pour
ses opinions en faveur des OGM". Greenpeace reproche au professeur
Michaud d'être juge et partie puisqu'il mène des
travaux sur les plantes transgéniques. L'organisme lui
reproche aussi de siéger sur le comité organisateur
d'une conférence sur la moléculture pharmaceutique
qui aura lieu à Québec en mars 2003. Cette conférence
est organisée par des groupes favorables aux OGM, explique
Greenpeace dans un communiqué.
Neutralité?
En deux mots, Greenpeace met en doute l'impartialité
et l'objectivité scientifique du professeur Michaud en
matière de plantes génétiquement modifiées.
L'organisme fait valoir que l'étude aurait dû être
confiée à des chercheurs neutres et indépendants.
Fait à noter, l'appel d'offre lancé par le ministère
n'aurait suscité qu'une seule soumission en bonne et due
forme, celle du groupe de Dominique Michaud. À une époque
où la recherche utilitaire et les partenariats industriels
sont fortement encouragés, la race des libres-penseurs
est-elle disparue des universités?
Si les experts sont en conflit d'intérêts, faut-il
se tourner vers des gens qui n'y entendent rien pour prétendre
à l'objectivité? "C'est là le noeud du
problème, souligne Dominique Michaud. Pour que l'étude
soit bien faite, il faut que son auteur connaisse parfaitement
les plantes transgéniques. Si nous tenions à réaliser
cette étude, ce n'est pas pour rouler le monde, c'est parce
qu'on voulait qu'elle soit faite correctement. Dans ce domaine,
il y a tellement de faussetés colportées par des
gens qui n'y connaissent rien!"
"La transparence de la démarche scientifique permet la contestation de l'approche, de l'interprétation des résultats et des conclusions. Elle ouvre la porte à un sain débat de société et à l'utilisation aussi appropriée que possible de la technologie."
Le professeur Michaud admet que, par la force des choses, un chercheur de pointe a un biais d'intérêt pour son domaine. "Je suis passionné par mon sujet de recherche, mais ma démarche scientifique demeure objective. Comme citoyen, j'ai une opinion sur les plantes transgéniques. Par contre, comme chercheur, j'utilise des méthodes de travail pour éviter la subjectivité. Je ne serai pas déçu si je découvre des impacts environnementaux négatifs aux plantes transgéniques, bien au contraire."
Intégrité
Personne ne peut prétendre à l'impartialité
totale, allègue pour sa part le professeur Raymond Lambert
de la Faculté de médecine. Penseur préoccupé
par les questions d'éthique et de responsabilité
scientifique, il estime que chaque chercheur est influencé
par son école de pensée et par le milieu qui l'entoure.
"La véritable question ici en est une de compétences
et d'intégrité. Si je devais choisir entre un chercheur
et Greenpeace pour mener ce genre d'études, j'irais vers
le chercheur", tranche-t-il. Tout comme les membres de Greenpeace,
explique-t-il, le chercheur est influencé par ses valeurs
et par ses convictions, mais sa démarche est transparente.
"Cette transparence permet la contestation de l'approche,
de l'interprétation des résultats et des conclusions.
Elle ouvre la porte à un sain débat de société
et à l'utilisation aussi appropriée que possible
de la technologie."
Le recours à des éthiciens non impliqués
dans la recherche sur les plantes transgéniques ne donnerait
pas plus de crédibilité à l'exercice, juge-t-il.
D'abord, parce qu'il leur faudrait un temps fou pour se familiariser
avec le sujet, mais surtout parce que les bioéthiciens
ont aussi leurs chapelles. "Ils ne sont pas neutres, c'est
très clair et c'est problématique parce que leur
raisonnement repose sur des concepts et des énoncés
plutôt que sur des chiffres. La part du subjectif et les
risques de dérapage sont plus grands."
Les chercheurs universitaires ne sont pas de purs esprits, libres
de toutes influences idéologiques ou économiques,
admet Raymond Lambert. "Cependant, la société
leur impose des contraintes morales beaucoup plus élevées
qu'au citoyen moyen. En fait, s'il fallait appliquer à
l'ensemble de la société les règles auxquelles
se plient les chercheurs en termes de respect des personnes, d'intégrité,
d'équité et de justice, c'est la face de la Terre
au complet qui changerait!"
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