![]() |
12 décembre 2002 ![]() |
Dans sa pratique quotidienne, un professeur d'université
recourt de façon constante à l'écriture,
que ce soit comme chercheur ou comme superviseur de ses étudiants
dans la rédaction de leur mémoire ou de leur thèse.
Malgré le fait que l'activité de recherche soit
fondamentalement une activité d'écriture, celle-ci
ne fait l'objet d'aucun cours durant la formation aux études
supérieures. Tout au plus les cours de méthode de
recherche abordent-ils les aspects plus techniques de la méthodologie,
comme l'échantillonnage ou les statistiques. Sinon, il
n'y a rien sur l'écriture de la problématique ou
du cadre théorique. Comme si cela était vécu
comme quelque chose d'automatique, qui allait de soi. Pourtant,
l'activité d'écriture a ses exigences, ses règles,
ses figures qu'il convient de connaître. Comment surmonte-t-on
cette difficulté? Notamment en lisant les oeuvres des romanciers
et des essayistes de talent, et en étudiant leur méthode
de travail.
De Flaubert à Perelman
Ce point de vue, Clermont Gauthier, professeur au Département
d'études sur l'enseignement et l'apprentissage, l'a développé
le mercredi 4 décembre au pavillon La Laurentienne, dans
le cadre des téléconférences du CRIFPE (Centre
de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession
enseignante). Sa communication s'intitulait: "L'écriture,
la variable cachée en recherche". "Sur le plan
du fond, explique-t-il, il faut se documenter, comme le romancier.
Le plus bel exemple est Gustave Flaubert qui aurait lui plus de
1 000 livres sur différentes disciplines du savoir pour
son roman Bouvard et Pécuchet. C'est ce qu'on appelle
la revue de littérature, connaître à fond
son sujet. Quiconque, à la manière d'un écrivain,
construit une recherche, est face à cette nécessité
de remplir la page blanche. On ne peut pas construire un cadre
conceptuel sans avoir lu."
Sur le plan de la forme, Clermont Gauthier croit que le chercheur
a tout intérêt à analyser les procédés
d'écriture des romanciers et des essayistes de talent,
et de s'y exercer. Le Traité de l'argumentation,
de Chaïm Perelman, un ouvrage destiné aux étudiants
en droit, peut s'avérer très utile à cet
égard. De même que ces ouvrages où des romanciers
expliquent comment ils ont écrit leurs livres. "On
gagne beaucoup à lire de grands auteurs, indique le conférencier.
Pour leurs idées et pour leur manière de les mettre
en scène, pour voir comment, par exemple, ils s'y prennent
pour réfuter une position adverse." Enfin, sur le
plan de la dynamique de l'écriture, Clermont Gauthier souligne
que le chercheur, après avoir lu et écrit, se trouve
confronté à l'angoisse de la "page pleine".
Cette page, il doit la simplifier, l'épurer, la "vider".
Deux hypothèses
Durant son exposé, Clermont Gauthier a examiné
deux hypothèses. La première, qui voudrait que la
pensée génère l'écriture, signifie
qu'il existerait une méthode, une série d'étapes
à suivre, pour élaborer un cadre conceptuel ou une
problématique. Or, la construction de ce cadre ou de cette
problématique constitue, selon lui, un processus davantage
chaotique que linéaire. "Dans un tel processus, précise-t-il,
on emprunte des chemins que l'on n'avait pas prévus à
l'origine. On dit toujours: Faites-vous un plan. Mais ce plan
se trouve constamment désorganisé, défait
et repris. Cette piste ne me semble pas féconde."
La seconde hypothèse voudrait que l'écriture génère
la pensée. Citant Pierre-Marc de Biasi dans La génétique
des textes, le conférencier explique que les idées
ne seraient pas préexistantes à l'acte d'écriture.
Elles se forgeraient et se formeraient plutôt en écrivant.
"En ce sens, ajoute-t-il, on pourrait dire que l'écriture
est une sorte de méthode au second degré."
![]() |