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12 décembre 2002 ![]() |
Chaque année, dans les pays pauvres, la mondialisation
de l'économie force de nombreuses femmes à migrer
vers les pays plus riches dans le but d'améliorer leur
sort ou celui de leur famille. Quelque 2 000 d'entre elles entrent
annuellement au Canada comme aides familiales résidantes.
D'autres, appelées "promises par correspondance",
épousent des Canadiens et s'établissent ici. Or,
toutes ces femmes vivent des rapports de pouvoir susceptibles
d'engendrer abus et exploitation. Et en dépit des législations
existantes, elles sont mal protégées et vulnérables.
Le lundi 9 décembre au pavillon Charles-De Koninck, Marie-Claire
Belleau et Louise Langevin, toutes deux professeures à
la Faculté de droit, ont présenté une conférence
sur le thème "Le trafic des femmes au Canada: l'embauche
d'aides familiales immigrantes résidantes et la pratique
des promises par correspondance". Leur exposé reprenait
les faits saillants d'une étude parue en 2000 et qu'elles
ont menée, d'un point de vue juridique et féministe,
pour le compte de Condition féminine Canada. L'activité
était organisée par la Chaire d'étude Claire-Bonenfant
sur la condition des femmes et le Groupe de recherche multidisciplinaire
féministe de l'Université Laval.
"Dans leur pays d'origine, explique Marie-Claire Belleau,
ces femmes sont considérées comme ayant moins de
valeur que les hommes, jouent un rôle secondaire et sont
encouragées à quitter le pays afin de chercher fortune
ailleurs et de venir en aide à leur famille." Selon
elle, l'exemple le plus frappant des inégalités
à multiples dimensions et interreliées qui caractérisent
la pratique des promises par correspondance est l'écart
d'âge qui varie en moyenne entre 20 et 50 ans. "Le
mari, dit-elle, souhaite cet écart d'âge précisément
pour mieux dominer et exercer son pouvoir sur la promise."
Des travailleuses à statut précaire
À l'heure actuelle, les trois quarts des aides familiales
immigrantes résidantes au Canada proviennent d'un seul
pays: les Philippines. gées de 30 ans en moyenne, habituellement
peu scolarisées, elles s'installent majoritairement dans
la région métropolitaine de Toronto. Très
appréciées, ces femmes sont réputées
dévouées, stables et dociles. Toutes ont pour objectif
d'obtenir la citoyenneté canadienne pour ensuite faire
venir leur famille au Canada. Dans 70 % des cas, ces travailleuses
changent au moins une fois d'employeur pendant la période
de trois ans au cours de laquelle elles doivent avoir complété
24 mois de travail. Au 1er février 2003, leur salaire,
fixé par la loi, atteindra 292 $ pour une semaine de 49
heures, pension et gîte fournis. "Ces femmes ne sont
pas bien encadrées sur le plan législatif, indique
Louise Langevin. Même si elles l'étaient, elles sont
dans une situation de vulnérabilité telle qu'elles
ne feraient pas valoir leurs droits." Dans leur étude,
Marie-Claire Belleau et Louise Langevin recommandent, entre autres,
d'accorder la résidence permanente à ces femmes
dès leur arrivée, que la période de travail
domestique autorisée soit réduite de 24 à
12 mois et que l'obligation de résidence chez les employeurs
soit abolie.
Un ressac anti-féministe
Des études empiriques américaines ainsi qu'une
étude canadienne révèlent l'importance grandissante
du recours à la pratique des promises par correspondance
par des hommes éprouvés par des relations difficiles,
des séparations et des divorces. Principalement de race
blanche, appartenant à la classe moyenne, vivant bien souvent
en région rurale, ces hommes dominants et contrôleurs
sont des conservateurs qui louangent les valeurs familiales traditionnelles
et qui considèrent trop exigeantes et revendicatrices les
femmes de leur nationalité. Les promises, quant à
elles, viennent d'Asie, d'Amérique du Sud, d'Europe de
l'Est et d'Afrique. De tous les niveaux de scolarité, souvent
croyantes, dociles et soumises, elles se plaignent des hommes
de leur pays et idéalisent l'homme nord-américain.
Selon Marie-Claire Belleau, dans la plupart des cas, un rapport
de sujétion maintient la femme sous le pouvoir de son mari.
"L'homme, dit-elle, s'efforce souvent de garder sa promise
dans un état de dépendance et de vulnérabilité.
Par exemple, elle ne participe pas à des activités
comme faire les courses ou le marché, et elle ne dispose
pas d'argent. De multiples facteurs qui vont de l'isolement dû
à la langue jusqu'à la peur de la déportation
militent en faveur du maintien coûte que coûte de
la relation avec le mari." Pour plus d'information sur l'étude
de Marie-Claire Belleau et Louise Langevin: www.swc-cfc.gc.ca/publish/research/020215-0662860535-f.html.
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