5 décembre 2002 |
La générosité du programme d'indemnisation
de la Commission de la santé et de la sécurité
du travail (CSST) aurait une influence sur le type de blessures
qui frappent les travailleurs de la construction ainsi que sur
la période de l'année où elles surviennent.
En effet, les maux difficiles à diagnostiquer - notamment
les maux de dos et de la colonne ainsi que les bursites - connaissent
une recrudescence lorsque les indemnités versées
par la CSST augmentent et lorsque les prestations d'assurance-chômage
diminuent. De plus, ce type de blessures survient surtout au trimestre
d'hiver, à la veille de la saison morte dans le monde de
la construction. Les chercheurs Denis Bolduc, Bernard Fortin et
France Labrecque, du Département d'économique, et
leur collègue Paul Lanoie, de l'Université de Montréal,
rapportent ces observations troublantes dans le dernier numéro
de la revue scientifique Journal of Human Ressources.
Les données utilisées par les chercheurs proviennent
de la Commission de la construction du Québec et de la
CSST et elles couvrent près de 10 000 travailleurs de la
construction, pour la période allant de 1977 à 1986.
Les chercheurs ont profité de changements importants apportés
alors au régime d'indemnisation des accidentés du
travail et à l'assurance-chômage pour étudier
l'impact de ces modifications sur la nature des réclamations
adressées à la CSST. Pendant cette période,
les indemnités (non imposables) versées par la CSST
sont passées de 75 % du salaire brut à 90 % du revenu
net, alors que les prestations (imposables) d'assurance-chômage
diminuaient de 66 % à 60 % du revenu brut.
Aléa moral
L'analyse des chercheurs montre que pour chaque hausse de
10 % des indemnités versées par la CSST s'ensuit
une augmentation de l'ordre de 4 points de pourcentage (par exemple,
de 46 % à 50 %) des réclamations concernant des
maux difficiles à diagnostiquer. Selon Bernard Fortin,
il faudrait refaire l'étude avec des données récentes
pour déterminer si la situation a changé depuis,
mais, estime-t-il, la plupart des conditions qui favorisent les
aléas moraux sont toujours présentes. Dès
qu'il y a assurance, il y a possibilité d'aléa moral
soit parce que les assurés font moins d'efforts de prévention
ou encore parce qu'ils font des réclamations qui sont à
leur avantage, explique le chercheur associé au Centre
interuniversitaire sur les politiques économiques et l'emploi.
"La CSST exerce plus de vérifications qu'auparavant
pour les problèmes de santé difficiles à
diagnostiquer, poursuit-il. Mais, lorsque quelqu'un dit avoir
un problème de dos, on peut vérifier encore et encore,
sans jamais savoir s'il dit vrai." Les maux de dos constituent
présentement 30 % des coûts de la CSST.
Dans une étude antérieure portant sur le même
groupe de travailleurs, l'équipe du Département
d'économie avait démontré que le programme
de la CSST semblait être utilisé comme substitut
à l'assurance-chômage par une partie des travailleurs
de la construction. Les résultats de la présente
étude confirment l'hypothèse de la substitution,
affirme Bernard Fortin. La générosité de
la CSST affecte donc l'incidence et la durée des réclamations,
de même que la nature des blessures rapportées. Pour
corriger la situation, le chercheur suggère différentes
avenues, notamment de rendre imposables les indemnités
de la CSST, de réduire les taux d'indemnisation accordés
dans les cas de maux à diagnostic difficile et de ne pas
laisser à un médecin choisi par le travailleur la
responsabilité de juger de la validité d'une réclamation.
"Nous ne disons pas que le système est trop généreux,
conclut-il, mais simplement qu'il ouvre la porte aux problèmes
d'aléa moral. C'est à la CSST de déterminer
quelle est la meilleure façon de régler ces problèmes."
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