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21 novembre 2002 ![]() |
L'imposition d'une idée universelle de l'aide humanitaire,
aide contrôlée étroitement par les États
donateurs, empêche de déployer des projets efficaces
sur le terrain. Une telle façon de procéder détruit
même une partie du milieu social des pays qui bénéficient
des programmes des organisations non gouvernementales (ONG) engagées
dans ce type d'intervention.
C'est ce qu'a constaté l'anthropologue Mariella Pandolfi,
en étudiant, sur les lieux mêmes des conflits, l'intervention
humanitaire au Kosovo et en Albanie. Invitée récemment
par la revue Anthropologie et Sociétés de
l'Université Laval, cette professeure de l'Université
de Montréal a raconté comment elle a commencé
son étude anthropologique des intervenants humanitaires
en s'impliquant elle-même dans une organisation non gouvernementale
(ONG) qui allait agir au Kosovo. "Sur papier, c'était
un projet très progressiste, rappelle-t-elle. Nous voulions
offrir des services de consultants psychologiques pour les personnes
qui revenaient au Kosovo après une période d'exil
ou de déportation. La première année, tout
l'argent est allé aux Kosovars, tel que prévu. Par
contre, entre la première et la deuxième année,
la politique internationale a changé. L'argent a alors
été déplacé vers les Serbes."
Un exemple, qui, selon l'anthropologue, démontre la toute
puissance du politique sur les interventions humanitaires.
Cette relation de pouvoir s'exprime aussi, au dire de Mariella
Pandolfi, dans la critique explicite et implicite, par les aidants,
des organisations locales des pays concernés. "Ce
sont des critiques stéréotypées qui laissent
transparaître une dévaluation constante de ces sociétés,
vues comme incapables de se gérer", fait valoir l'anthropologue,
qui souligne d'ailleurs que ces sociétés se retrouvent,
lorsque l'aide humanitaire quitte, dépourvues de leurs
structures d'aide locales, disparues lors de l'intervention de
l'aide humanitaire.
Un autre colonialisme?
Mariella Pandolfi constate que l'intervention humanitaire
prend de plus en plus une forme identique, d'un endroit à
l'autre de la planète. "Ces intervenants partagent
une idée universelle des droits de l'homme, de la façon
de fonder une école, d'élaborer le contenu d'un
code pénal ou de la constitution d'un État démocratique."
L'anthropologue voit cette doctrine comme un "sous-plan colonialiste",
basé sur l'efficacité et la fonctionnalité
de l'intervention humanitaire, et elle rappelle que le contexte
dans lequel s'insère l'intervention humanitaire favorise
cette ingérence: "L'aide intervient dans un État
d'exception, où on a suspendu les lois et qui est maintenu
par les interventions humanitaires. Le FMI et la Banque mondiale
imposent la conditionnalité des aides humanitaires. La
société bénéficiaire est bloquée
et paralysée, sous tutelle économique, et elle survit
grâce à l'aide humanitaire."
Mariella Pandolfi a également traité des "difficultés
anthropologiques" rencontrées dans son étude
des ONG. "Il faut faire l'anthropologie d'un objet qui se
déplace d'un endroit à un autre dans le monde, mais
ce travail est faisable puisque l'aide humanitaire est un ensemble
homogène qui se déplace avec ses pratiques, son
discours et des stratégies qui lui sont propres."
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