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14 novembre 2002 ![]() |
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"Pour un biologiste cellulaire, il s'agit d'une photo très sexy sur le plan esthétique. Elle est aussi très éloquente du point de vue scientifique, car c'est la première image jamais prise qui montre les protéines responsables du syndrome du X fragile associées aux ARN messagers, installées sur les microtubules de la cellule." Édouard Khandjian n'est pas peu fier de cette photo. Pour ce professeur de la Faculté de médecine, elle vient boucler la boucle de ses travaux sur le syndrome du X fragile, la deuxième cause de retard mental après la trisomie 21. Les derniers résultats obtenus par son laboratoire confirment la validité du modèle qu'ils ont échafaudé pour expliquer comment la mutation responsable de cette maladie bouleverse le fonctionnement normal des cellules nerveuses. Lorsque son collègue Rachid Mazroui a présenté cette photo au dernier Congrès international sur le X fragile, à Chicago en juillet dernier, les chercheurs présents sont restés bouche bée. "Dans notre domaine, la compétition est féroce et de très très gros noms et laboratoires américains sont dans la course, souligne Édouard Khandjian. Il a fallu une bonne dose d'imagination pour compenser les faibles moyens financiers dont nous disposons pour arriver à trouver le "chaînon manquant"". |
![]() Les microtubules (en rouge) serviraient aux déplacements de complexes moléculaires formés par les protéines FMRP et l'ARN messager (en vert). Ces protéines sont absentes chez les personnes souffrant du syndrome du X fragile. |
C'est sans doute pour toutes ces raisons que la revue scientifique Human Molecular Genetics a choisi cette photo pour illustrer sa page couverture du 15 novembre. Dans cette édition, les chercheurs Rachid Mazroui, Marc-Étienne Huot, Sandra Tremblay, Christine Filion, Yves Labelle et Édouard Khandjian, du Centre de recherche de l'hôpital Saint-François d'Assise, expliquent pourquoi les cellules nerveuses des personnes frappées par cette maladie sont incapables de produire, au bon moment et au bon endroit, les protéines essentielles au développement du système nerveux.
Via rails
Les personnes victimes du syndrome du X fragile sont incapables
de synthétiser les protéines appelées FMRP
(Fragile X Mental Retardation Protein). Chez les personnes normales,
les FMRP sont présentes dans tous les tissus du corps,
mais leur concentration est 100 fois plus élevée
dans les cellules nerveuses. Leur absence se fait donc surtout
sentir là où elles sont normalement abondantes,
ce qui expliquerait le problème de développement
des fonctions cognitives chez les individus atteints du syndrome
du X fragile.
Dans l'article du Human Molecular Genetics, les chercheurs
suggèrent que la fonction de ces protéines est
de bâillonner l'ARN messager jusqu'à ce qu'il soit
livré, via les microtubules, à la région
de la cellule où doit se dérouler la synthèse
des protéines. "Les microtubules sont comme des rails
sur lesquels circulent des wagons qui transportent l'information
génétique (ARN messager) vers des usines distantes,
spécialisées dans la synthèse de protéines
impliquées dans la plasticité des neurones, explique
le professeur Khandjian. Les protéines FMRP scellent le
wagon pour s'assurer que l'ARN messager ne fasse pas son travail
avant d'être arrivé à destination."
Cette fonction est particulièrement importante dans les
cellules nerveuses parce que la distance entre le noyau (où
l'ARN messager est produit) et l'autre extrémité
du neurone atteint parfois plusieurs centimètres. "La
surabondance des FMRP dans les cellules nerveuses servirait à
piéger les ARN messagers et à assurer leur transport
vers les sites de synthèse protéique, de façon
à ce que la maturation des neurones se fasse au bon endroit
et au bon moment", ajoute le chercheur.
Identifié en 1969, le syndrome du X fragile se manifeste,
chez l'enfant, par un retard d'apprentissage du langage et par
des comportements hyperactifs ou autistiques. Cette maladie frappe
davantage les garçons (1 sur 4 000) que les filles (1
sur 6 000). Il n'existe pas de traitement, mais les enfants atteints,
dépistés en bas âge, peuvent bénéficier
d'un encadrement particulier qui leur permet de développer
au maximum leurs capacités.
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