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14 novembre 2002 ![]() |
Ces années-ci, il fait bon vivre dans la Vieille Capitale
si l'on est amateur de cuisine exotique. En 1999, la région
de Québec ne comptait pas moins de 200 restaurants ethniques,
soit 18 % de tous les restos du territoire. Deux établissements
sur trois offraient de la cuisine européenne. Sur une période
de 50 ans, la catégorie des restaurants ethniques a connu
la plus forte croissance après celle des établissements
de restauration rapide (fast-food). Selon une étude
de deux chercheurs de Laval parue cette année dans le Journal
of American Folklore, la popularité de la cuisine ethnique
à Québec s'expliquerait par un désir grandissant
dans la population d'expérimenter la différence
culturelle. "Le restaurant devient un micro-espace, un monde
en soi où vivre une expérience exotique dont le
repas est le prétexte et l'élément central",
affirme Laurier Turgeon, professeur d'ethnologie et d'histoire
au Département d'histoire et coauteur de l'étude
avec l'étudiante au doctorat en ethnologie Madeleine Pastinelli.
Un monde à explorer en restant chez soi
Dans les restaurants ethniques, le décor, la musique
d'ambiance, parfois même de l'encens sollicitent les sens
du client afin de lui donner l'impression du dépaysement,
d'un séjour de quelques heures à l'étranger
sans quitter sa ville. Selon Laurier Turgeon, ce micro-espace
est définitivement lié au voyage. "Les gens
que nous avons interviewés, indique-t-il, racontaient leur
expérience sous la forme de petits récits de voyage.
Mais pas n'importe lequel: une sorte de voyage initiatique dans
lequel ils réussissaient la rencontre avec l'autre. D'ailleurs,
les récits se terminaient toujours en disant qu'ils étaient
sortis de l'expérience fortifiés, grandis, meilleurs."
En 1989, un critique culinaire américain se désolait
de ne pas retrouver dans les villes québécoises
des restaurants servant des plats traditionnels comme la soupe
aux pois, la tourtière, le ragoût de boulettes ou
les cretons. C'était compter sans le déclin, depuis
environ un quart de siècle, des restaurants familiaux qui
offraient dans le passé ce genre de mets. Ce phénomène,
les coauteurs de l'étude l'expliquent par une volonté
collective de modernité. Rejetant le traditionnel et s'ouvrant
sur le monde, une société auparavant repliée
sur elle-même est passée du soi à l'autre
et perçoit désormais de façon positive ce
qui est étranger.
Moins d'immigrants, plus de restos ethniques
Laurier Turgeon et Madeleine Pastinelli se sont d'abord penchés
sur l'évolution des restaurants ethniques à l'échelle
québécoise entre 1951 et 1999. Ils ont ensuite effectué
un sondage téléphonique auprès de 260 personnes
de la région de Québec. Enfin, ils ont visité
huit restaurants de la haute et de la basse-ville de Québec.
Ces endroits représentaient les principales catégories
d'établissements ethniques existants. On y offrait de la
cuisine belge, chinoise, française, italienne, latino-américaine,
libanaise, tunisienne et vietnamienne.
En 1999, les immigrants de première génération
de la région de Québec constituaient à peine
3,7 % de la population, un pourcentage très inférieur
à celui des restaurants ethniques présents sur le
territoire (18 %). Les chercheurs ont observé une inadéquation
semblable dans les autres centres régionaux de la province,
où le nombre d'immigrants est également très
faible. À Montréal cependant, où Québécois
de souche et immigrants se côtoient quotidiennement, le
taux de restaurants ethniques versus l'ensemble des restos était
le plus bas, soit 12 %. Selon les coauteurs de l'étude,
ces chiffres semblent indiquer que les résidants d'une
ville comme Québec cherchent à combler l'absence
de l'étranger au moyen d'une représentation, le
restaurant.
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