7 novembre 2002 |
"Nous avons parlé un français populaire qui
a fait tout un chemin en deux siècles, affirme Claude Poirier,
professeur au Département de langues, linguistique et traduction,
et expert du français québécois. Aujourd'hui,
nous sommes capables de parler une langue de bien meilleure qualité
que dans le passé. Il y a eu un grand changement depuis
les années 1960 et nous nous sommes rapprochés beaucoup
de la norme parisienne. Jusqu'aux années 1960, je dirais
que ce qui formait le cur du français du Québec
est demeuré très près de ses origines."
Claude Poirier participait, le vendredi 25 octobre au Musée
de la civilisation, à un colloque sur le centenaire de
fondation de la Société du parler français
au Canada. Cette Société a vu le jour à l'Université
Laval en 1902 dans le but de revaloriser le français canadien
et a disparu au début des années soixante. Elle
compte à son actif les premiers travaux d'envergure consacrés
à l'étude du français en usage au Québec.
Sa pièce maîtresse, le Glossaire du parler français
au Canada publié en 1930, porte sur les particularismes
de la langue orale.
Selon Claude Poirier, le Glossaire ainsi que les nombreux
manuels correctifs publiés jusque là mettent en
lumière l'insécurité linguistique qui s'était
installée au Québec au siècle précédent.
"On a perdu de vue l'identité proprement canadienne
au milieu du 19e siècle, explique-t-il. C'est clair. Avant,
on disait: Nous sommes des Canadiens, pas des Anglais ni des Français.
C'est affirmé. Mais à partir de 1860, on peut lire:
Nous sommes la présence de la France en Amérique,
nous sommes des Français. Or, si nous le sommes, nous parlons
nécessairement mal puisque nous ne parlons pas comme les
Français. D'où l'entreprise de correction visant
à nous réaligner."
Un message qui fausse les données
Le canal Historia diffuse présentement une série
d'émissions sur les origines du peuple québécois
dans laquelle différents personnages, notamment des coureurs
de bois et des agriculteurs du 17e siècle, parlent comme
des Français d'aujourd'hui. "Le message est que les
gens de l'époque parlaient comme ça, indique Claude
Poirier. Comme, de nos jours, on ne parle pas comme ça,
qu'on n'a pas cet accent, c'est donc qu'il s'est produit une dégradation
de la langue." Selon lui, l'accumulation de telles visions
des choses vient fausser les données. "Les premiers
Français, du moins ceux du peuple, et les Canadiens du
temps parlaient, d'une certaine façon, comme mon grand-père,
affirme-t-il. Par exemple, dans les documents il est écrit
qu'un tel vient de la région du Parche, et non du Perche."
Modèles linguistiques et réalité
Le début du 20e siècle au Québec se caractérise
par une forte tendance à franciser les termes anglais.
Dans les années 1930, la Bolduc n'inventait pas son langage.
Sa prononciation et son vocabulaire reflétaient ce qu'elle
entendait tous les jours. La langue populaire comprenait des mots
comme "gouvarnement", "marci" et "pére".
Dans les journaux, on pouvait lire des publicités de "chars"
ou de "machines".
Dans les années 1950, les animateurs de Radio-Canada cherchaient
à parler comme des Français de France. Aujourd'hui,
un lecteur de nouvelles comme Stéphan Bureau ne prononce
pas à la française et utilise de nombreux québécismes.
"Les gens instruits au Québec, comment parlent-ils?
demande Claude Poirier. Voilà ce qu'est la langue québécoise
d'aujourd'hui. Parce que toute la société a basculé
de ce côté." Il ajoute que si la langue est
plus relâchée dans les émissions de divertissement,
notamment les téléromans, que dans les émissions
d'information où le bon langage est de mise, c'est dû
à une question de genre. "Un téléroman,
soutient-il, n'est pas l'endroit pour éduquer les gens
sur leur parler. Il faut qu'il y ait du réel derrière.
Il ne faut pas les prendre comme des modèles linguistiques,
mais comme des miroirs de la réalité."
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