7 novembre 2002 |
Québec, 1er novembre. L'hiver est aux portes du campus.
En regardant vers le Nord, on aperçoit les sommets enneigés
des Laurentides, par-delà les arbres verts. Les arbres
verts? De toute évidence, quelque chose cloche dans le
tableau. Il a fait froid - le mercure est tombé plusieurs
fois sous zéro depuis trois semaines et la température
moyenne d'octobre a été de 1,8 degré Celsius
sous la normale -, les journées ont raccourci, bref, tous
les ingrédients classiques pour provoquer des avalanches
de feuilles sont réunis. Pourtant, Québec vient
de connaître l'une de ses pires pénuries de feuilles
pour remplir les sacs "citrouille" qui décorent
les parterres à l'Halloween. En dépit du changement
de page au calendrier, les feuilles s'accrochent obstinément
aux arbres et bon nombre de celles qui cèdent parsèment
le sol de taches vertes.
La nature déraille-t-elle? "Je crois que le phénomène
est sans précédent", précise d'abord
Jean-Robert Thibault, professeur au Département des sciences
du bois et de la forêt. Selon ce spécialiste de la
physiologie de l'arbre, deux facteurs expliqueraient le singulier
automne que nous connaissons. D'abord, les feuilles sont restées
vertes parce que le mois de septembre et le début d'octobre
ont été excessivement doux, rappelle-t-il. "Les
arbres ont interprété ce message de la nature comme
une indication qu'ils pouvaient continuer à faire de la
photosynthèse pour accumuler le plus de réserves
possibles avant l'hiver". Normalement, l'arbre cesse de fabriquer
de la chlorophylle lorsque le froid s'installe, ce qui laisse
apparaître les autres pigments de la feuille. Or, le froid
qui règne sur la région depuis la mi-octobre prévient
la dégradation de la chlorophylle chez plusieurs espèces
d'arbres, les chênes en particulier, note le professeur.
Par ailleurs, si les feuilles refusent de tomber, c'est également
en raison de la vitesse à laquelle le froid s'est installé,
poursuit Jean-Robert Thibault. "En conditions normales, lorsque
la température diminue, l'arbre fabrique un liège
cicatriciel à la base du pétiole, ce qui coupe progressivement
les vivres à la feuille. Lorsque ce liège est complètement
formé, la feuille tombe. Or, cette année, le froid
est arrivé si soudainement que le métabolisme des
arbres a ralenti avant que le liège ne soit complètement
formé. Le résultat est que, chez certaines espèces,
les feuilles sont encore accrochées solidement aux arbres.
Elles pourraient même rester sur les branches jusqu'à
la fin de l'automne."
Souvenirs d'automne
Les arbres nous montrent des choses très inhabituelles
cette année, souligne le professeur Thibault. "En
plus des arbres encore en feuilles en novembre, on a vu des arbres
se colorer et perdre leurs feuilles en août, en raison de
la sécheresse. Il y a aussi des arbres, comme les ormes,
dont les feuilles ont perdu leurs couleurs, mais qui restent accrochées
aux branches."
Malgré tout, ce drôle d'automne aura permis aux arbres
de se constituer des réserves nutritives plus importantes
qu'à l'habitude, ce qui compense pour le déficit
qu'aurait pu entraîner la sécheresse de la fin de
l'été. "Les arbres ne devraient donc pas souffrir
des conditions particulières qui ont prévalu cette
année. Ils pourraient même avoir une vigueur intéressante
le printemps prochain", prédit le professeur.
Si la tendance au réchauffement climatique se maintient,
les verts automnes pourraient survenir plus fréquemment
dans l'avenir. "Le but d'un arbre est d'accumuler de l'énergie
le plus longtemps possible. Il va donc garder ses feuilles aussi
longtemps qu'il le pourra, si la température lui permet
de le faire. Et si le froid arrive aussi drastiquement que cette
année, le même scénario risque de se répéter",
conclut Jean-Robert Thibault.
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