![]() |
7 novembre 2002 ![]() |
L'Énoncé de politique commun sur l'éthique
de la recherche avec des êtres humains fait son lot de mécontents
parmi les chercheurs en sciences humaines et sociales. Cette réglementation
nationale, pensée en fonction de la recherche biomédicale,
fait fi de la spécificité des autres disciplines,
souligne le mémoire rédigé au terme de la
consultation tenue entre août et septembre, sur le campus,
par le Comité d'éthique de la recherche de l'Université
Laval (CÉRUL).
Une quinzaine de chercheurs ou d'équipes de recherche,
de même que les conseillères à la recherche
de la Faculté des sciences sociales, de la Faculté
des lettres et de la Faculté des sciences de l'éducation
ont pris part aux consultations. Des entrevues avec la présidente
et avec la coordonnatrice du CÉRUL ont complété
le processus qui a servi à la préparation du mémoire.
"Ce document n'a pas pour but de dégager un consensus
au sein de la communauté universitaire, ni de formuler
de grandes recommandations", signale Florence Piron, chercheure
au Département de sociologie, membre du CÉRUL, instigatrice
de la consultation et auteure du mémoire. "Il ne représente
pas non plus la position officielle du CÉRUL. Il s'agit
d'un compte-rendu synthétique de la consultation menée."
Le mémoire sera acheminé au Groupe consultatif inter
agences en éthique de la recherche (GER), un organisme
créé par les trois grands conseils subventionnaires
fédéraux (IRSC, CRSNG et CRSH). Le GER a reçu
le mandat de réviser l'Énoncé afin de mieux
tenir compte des spécificités de la recherche en
sciences humaines et sociales. Rappelons qu'en 1998, les trois
conseils adoptaient un énoncé de politique commun
sur l'éthique de la recherche qui couvrait toute recherche
impliquant des sujets humains, même si elle ne comporte
pas d'expérimentation (exemple: questionnaire, entrevue,
observation).
Effets collectifs oubliés
"L'Énoncé a fait le choix très clair
d'une orientation déontologique, procédurale et
abstraite, visant à construire un cadre éthique
unique national, qui protège la dignité et le bien-être
de chaque être humain appelé à participer
à une recherche subventionnée par le Canada, rappelle
le mémoire. Cette volonté d'universalité
normative ne peut que laisser dans l'ombre une multitude de débats
d'ordre éthique, par exemple les effets collectifs ou politiques
de certaines recherches."
L'Énoncé, comme l'ont souligné certains participants,
se situe à un niveau "exclusivement individuel et
ne tient pas compte du fait que les sujets humains sont des sujets
sociaux, politiques, insérés dans des contextes
sociaux bien précis. Le consentement individuel peut certes
protéger la personne, mais ne garantit rien quant aux collectivités
dont elle fait partie ni quant à la relation entre la personne
et cette communauté", lit-on dans le mémoire.
Pour beaucoup de sujets, le simple fait de devoir signer un document
est "en soi difficile et même compromettant, même
s'il s'agit d'un formulaire garantissant la confidentialité
de leurs propos. Les obliger à signer peut nuire à
la recherche ou au contact humain entre le chercheur ou la chercheure
et les personnes."
Par ailleurs, certaines recherches qualitatives font appel à
une approche "inductive, exploratoire, ouverte à la
contingence et à l'imprévu, reposant sur un sens
de l'observation aiguisé, un bon jugement, une grande écoute",
de sorte que les chercheurs peuvent difficilement identifier,
à l'avance, toutes les variables qu'ils ont l'intention
d'étudier, tel que le demande l'Énoncé. La
notion même de consentement écrit des sujets est
déconnectée de la réalité pour les
recherches qui se déroulent dans des sociétés
ou milieux où domine l'analphabétisme.
Du contrôle au dialogue
Enfin, le parti pris procédural et déontologique
de l'Énoncé engendre une bureaucratisation de l'éthique
de la recherche qui semble empoisonner la vie de certains chercheurs.
Remplir le formulaire constitue pour eux une énorme perte
de temps et d'énergie et pourrait même nuire au démarrage
de nouveaux projets. Certaines personnes consultées jugent
que la réglementation actuelle révèle un
"manque de confiance et de respect, et même le mépris
à l'endroit de la capacité de jugement éthique
des chercheurs". L'Énoncé est axé sur
le contrôle, la surveillance et la discipline, comme s'il
partait "d'une présomption de culpabilité ou
d'état de péché de la part des chercheurs,
et qu'il fallait un comité pour les remettre sur le droit
chemin, sans tenir compte de leur dignité ou de leurs compétences".
De son côté, le CÉRUL estime que ces formulaires
ont leur raison d'être, puisqu'ils permettent aux membres
du comité d'avoir "suffisamment d'information pour
porter un bon jugement sur le projet sous évaluation",
tout en évitant la création de "chapelles éthiques
disciplinaires".
Le fait que le comité d'éthique soit mal connu dans
la communauté universitaire tout en devant exercer un pouvoir
de contrôle et de surveillance ne facilite pas les choses,
relève le mémoire. "La légitimité
de ses jugements moraux doit être acquise à force
de débats et de dialogue et non à travers des formulaires
bureaucratisés. Sinon, les chercheurs n'accepteront pas
la prétention des experts qui se métamorphosent
en un nouveau clergé, qui veulent moraliser les autres
comme s'ils n'étaient pas déjà des sujets
moraux dignes de respect. L'importance de la mission éducatrice
et dialogique des comités d'éthique devrait donc
être fortement rehaussée par rapport à sa
mission de surveillance si on veut rétablir le lien de
confiance entre le comité, l'Énoncé et les
chercheurs", affirme le mémoire.
![]() |