31 octobre 2002 |
Aux 16e, 17e et 18e siècles, la pratique très répandue du tatouage chez les Amérindiens impressionnait fortement les Français. Si certains voyaient là un symbole de sauvagerie, d'autres le percevaient comme substitut à l'écriture. Mais avant toute chose, le tatouage servait à l'identification de l'interlocuteur amérindien. Au contact des Européens, les autochtones ont incorporé des motifs chrétiens à leurs tatouages, comme des croix et des noms de Jésus. De plus, des coureurs de bois et des militaires se sont fait tatouer par des Amérindiens. Tel est l'essentiel de l'exposé qu'a livré l'étudiant au doctorat en histoire Arnaud Balvay, le jeudi 17 octobre à l'hôtel Clarendon à Québec. Il faisait sa présentation lors de la réunion annuelle de la Société américaine d'ethnohistoire.
S'embellir ou afficher sa valeur
Arnaud Balvay a étudié la question du tatouage
dans le cadre de sa thèse portant sur les relations entre
les soldats français et les Amérindiens. Cette pratique
quasi généralisée parmi les nations amérindiennes
remplissait, selon lui, plusieurs fonctions. Les femmes y recouraient
pour embellir leur corps. Les hommes, quant à eux, s'en
servaient comme rappel de leurs exploits guerriers. Serpents,
lézards, écureuils et tortues, ou bien fleurs, feuilles,
soleils et lunes constituaient les principales images tatouées.
On tatouait aussi de simples traits. "Le tatouage permettait,
de par sa visibilité, d'établir un statut social,
explique Arnaud Balvay. Plus l'homme était tatoué,
plus le guerrier était reconnu comme valeureux."
Dans la société coloniale, le tatouage servait à
identifier les individus. Dans un cas de viol suivi d'un assassinat
survenu en 1689 à Montréal, les autorités
reconnurent formellement l'assassin amérindien à
cause de ses tatouages. Le tatouage pouvait également servir
de signature lors d'échanges commerciaux. "On sait,
raconte Arnaud Balvay, que certains traiteurs, pour faire signer
des reconnaissances de dettes ou des contrats, recopiaient un
des tatouages qu'ils voyaient sur le corps de l'Amérindien."
Des corps "effroyables et hideux"
En Europe à cette époque, le tatouage était
associé soit à l'infamie (on marquait les criminels
au fer rouge), soit à l'irréligion (altérer
le visage créé à l'image de Dieu était
faire injure à Celui-ci). Pas surprenant alors que le père
Sagard ait écrit avoir l'impression, en regardant les corps
d'Amérindiens tatoués, de contempler "l'image
de quelque démon".
Les coureurs de bois voyaient leur contact facilité avec
leurs partenaires commerciaux amérindiens, grâce
à leurs tatouages. Les Canadiens placés sous le
commandement du marquis de Montcalm portaient tous sur le corps
"la figure de quelque plante ou animal". Même
chose pour certains officiers de l'armée française,
notamment Jean-Bernard Bossu, présent en Louisiane au milieu
du 18e siècle. Dans le témoignage qui nous est parvenu,
Bossu écrit que les Akanças l'ont adopté
à la suite d'un acte de bravoure et reconnu pour guerrier.
En conséquence, un chevreuil a été tatoué
sur sa cuisse. Selon Arnaud Balvay, le rite de passage que constitue
la pose d'un tatouage sur un non-Amérindien permet à
ce dernier d'intégrer le corps social autochtone avec un
nom amérindien et le statut d'homme à part entière.
"On peut opposer le tatouage au baptême des Amérindiens,
conclut-il. Dans les deux cas il s'agit d'un rituel d'adoption.
D'une part, un Européen quitte la civilisation pour un
état de sauvagerie. D'autre part, l'Amérindien perd
son état sauvage pour entrer dans la communauté
des chrétiens."
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