31 octobre 2002 |
Richard Desjardins et son équipe lançaient, il
y a deux ans, un pavé dans la mare avec le film L'erreur
boréale, en annonçant le déclin de la
forêt québécoise si l'exploitation forestière
continue avec la même frénésie. Deux ans plus
tard, Louis Bélanger, professeur à la Faculté
de foresterie et de géomatique, enfonce le clou. Lors d'une
conférence donnée récemment à la Forêt
Montmorency - un territoire géré par l'Université
Laval à des fins d'enseignement et de recherche - il a
dénoncé vigoureusement la surexploitation d'une
ressource en voie d'épuisement.
En utilisant d'autres données que les saisissantes vues
aériennes de forêts dévastées du célèbre
documentaire, le chercheur au Département des sciences
du bois et de la forêt en vient à une conclusion
identique. L'industrie forestière a bafoué une règle
de base, en coupant davantage d'arbres que la croissance annuelle
ne le permettait. "Au moins 30 % des niveaux de coupe repose
sur des arbres à venir, qui n'ont pas encore poussé",
affirme Louis Bélanger. Ce qui signifie qu'on coupe allègrement
la forêt aujourd'hui, au nom d'arbres qui n'existeront peut-être
que dans la tête des statisticiens.
Petit retour en arrière
En 1986, l'industrie forestière reçoit l'autorisation
d'exploiter davantage la forêt, en autant qu'elle consente
à investir dans la sylviculture en plantant des arbres.
À titre d'exemple, certains travaux comme l'éclaircie
pré-commerciale doivent permettre un rendement accru de
la forêt. Il s'agit d'éliminer certaines pousses
fraîchement plantées, pour donner davantage de lumière
aux autres et accélérer leur croissance. Les fonctionnaires
calculent ensuite la masse de bois supplémentaire produite
de cette manière et autorisent les exploitants à
couper davantage de bois sur la base de ces chiffres.
Trois-cents millions de dollars plus tard, un rapport scientifique
déposé récemment au ministère des
Ressources naturelles en vient à une conclusion dévastatrice.
Un tel traitement sylvicole n'a aucun effet sur la croissance
de la forêt. Que les tiges soient éclaircies ou non,
on se retrouve avec la même quantité de bois quelques
années plus tard. "C'est une nouvelle catastrophique
pour la forêt québécoise, s'indigne Louis
Bélanger. Les ingénieurs forestiers n'ont pas protégé
l'intérêt public en calculant la possibilité
forestière de façon trop optimiste. On a manqué
de précaution."
Selon lui, les effets de la surexploitation de la forêt
commencent déjà à se faire sentir dans certaines
régions, comme dans le Bas Saint-Laurent ou la Gaspésie,
qui connaissent des baisses de production de 30 %. Pour renverser
la tendance et protéger la forêt, le chercheur suggère
la création d'un poste d'inspecteur général
des forêts. Cet arbitre impartial, sans lien avec le gouvernement,
comme un vérificateur général, aurait la
lourde tâche de s'assurer que les ingénieurs forestiers
suivent les règles établies en ne gonflant pas indûment
les volumes de coupe. Cette mesure aurait pour effet, à
l'entendre, de mettre le ministère des Ressources naturelles
à l'abri de sa tendance naturelle à optimiser la
croissance de la forêt pour contribuer au maintien des emplois
en région, puisque l'économie de bien des localités
repose sur l'industrie forestière.
Pour une forêt habitée
Mais Louis Bélanger va encore plus loin. Il préconise
de nouvelles méthodes pour exploiter les forêts,
qui prennent en compte la gestion intégrée des ressources.
Et de citer les dix projets de forêt habitée où
la gestion de la ressource revient à des groupes locaux
ou aux municipalités, ainsi que les fermes forestières
en métayage, expérimentées notamment dans
le Bas Saint-Laurent. Même si ce type d'exploitation a produit
des résultats positifs depuis quelques années, il
reste encore à l'état de projet pilote, car le lobby
de l'industrie forestière aurait torpillé les orientations
gouvernementales dans ce domaine, cette dernière risquant
de perdre le contrôle sur l'approvisionnement en bois.
Cependant, Louis Bélanger n'en démord pas. "Le
Québec doit recommander que 10 % de la forêt soit
municipale ou en ferme forestière", affirme-t-il.
Il a ainsi énuméré les bons coups enregistrés
par la Forêt Montmorency, que le public pouvait apercevoir
juste de l'autre côté des fenêtres de la salle
de conférence. L'orignal et la martre d'Amérique
fréquentent davantage cette forêt qui applique
à la lettre la gestion intégrée que
les territoires voisins, un indice d'une bonne biodiversité.
Par ailleurs, la Forêt Montmorency affiche un rendement
supérieur de 30 % à celui des forêts limitrophes.
Évidemment, ces bons résultats ont un coût,
puisque le bois coupé à la forêt Montmorency
revient à 10 % plus cher qu'ailleurs.
Il devient donc urgent, à ses yeux, que le gouvernement
se prononce enfin sur un renouvellement du régime forestier
qui tienne enfin compte de l'environnement et que l'industrie
forestière se voie imposer des études d'impact.
Pour les auditeurs, peu convaincus à ce stade de la nécessité
d'une gestion intégrée de l'écosystème,
Louis Bélanger conservait une dernière carte dans
sa manche, la présentation de diapositives sur les conséquences
des précipitations de pluies acides sur la forêt
d'ici. Une menace qui pourrait toucher la forêt depuis Ville-Marie
jusqu'à Sept-Iles et qui a déjà provoqué
le jaunissement des feuilles de certains arbres à la Forêt
Montmorency. Avec l'aide de la pollution, nous pourrons bientôt
bénéficier des couleurs d'automne à l'année.
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