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26 septembre 2002 ![]() |
Sans user de métaphores de mauvais goût, on pourrait
peut-être comparer la mondialisation à un train dans
lequel il vaut mieux sauter, si on ne veut pas qu'il nous écrase.
Voici, grossièrement résumée, l'essence des
propos tenus par la majorité des différents conférenciers
qui participaient la semaine dernière au colloque international,
"Globalisation, quels enjeux pour les universités?",
organisé par le Bureau international dans le cadre des
Grandes Fêtes de l'Université.
Apparemment, les manifestants qui ont envahi la salle où
dînaient les congressistes vendredi dernier en dénonçant
leurs prises de position pro-mondialisation en faveur de l'éducation,
avaient mal saisi leur message. Pour Gilles Breton, directeur
du Bureau international, cet événement devait faire
réfléchir aux enjeux de la mondialisation "sans
démoniser le phénomène ou en faire la promotion".
La rencontre réunissait en effet des personnalités
comme Jane Currie, dénonçant la "Macdonaldisation"
des universités australiennes, ou Tebojo Moja, ancienne
conseillère de Nelson Mandela, ainsi qu'un représentant
de la Banque mondiale. Comme l'a rappelé Bernard Pau, directeur
de l'Institut de biotechnologies de l'Université de Montpellier
1, "En France, la globalisation fait désormais tellement
partie de notre vie qu'on peut parler d'hominisation de la Terre".
Des risques en éducation
"Face à la mondialisation, l'inaction n'est pas
une option." Cette déclaration ne provient pas d'un
quelconque politicien en mal de mandat électoral, mais
de Jane Knight, une chercheure spécialisée dans
le domaine de l'internationalisation de l'enseignement supérieur.
En son absence, Eva Egon Pollack, une représentante de
l'Association internationale des universités, a présenté
son étude sur le volet éducation du futur Accord
général du commerce et des services (AGCS) qui se
discute au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
En quelques mots, cette entente pourrait permettre à des
fournisseurs de service d'enseignement à l'étranger
de proposer sans restriction des cours ou des enseignants dans
un pays visé.
Chacun des pays membres de l'OMC a toute latitude pour adhérer
ou non à cet accord, mais ses partisans font valoir qu'il
pourrait permettre d'accroître le nombre de programmes d'enseignement
offert dans un pays donné. Ses détracteurs soulignent,
par contre, que la qualité de l'éducation pourrait
en pâtir si n'importe quel type d'enseignement se retrouve
sur le marché, et que les coûts pourraient augmenter.
L'entente pose également de nombreuses questions administratives
dont celle de l'attribution des bourses. À titre d'exemple,
une université étrangère pourrait-elle avoir
droit aux mêmes subventions qu'une université nationale,
et ses étudiants venus d'ailleurs bénéficieraient-ils
des mêmes avantages que les étudiants locaux? La
culture risque-t-elle de s'homogénéiser si le même
enseignement se retrouve aux quatre coins de la planète?
Pour l'instant, une vingtaine de pays - dont le Congo et l'Australie
- se sont engagés pour le volet éducation dans cet
accord commercial qui devrait être adopté en septembre
2003. Le Canada, pour sa part, n'a pas voulu l'inclure dans son
entente car trop de questions restaient en suspens, notamment
sur les répercussions possibles pour les universités
financées par l'État. Si pour l'instant cet accord
demeure lettre morte ici, la mondialisation touche tout de même
les universités de nombreuses manières. Teboho Moja,
professeur en éducation à l'Université de
New-York, a fait valoir que l'iniquité entre les universités
du Nord et du Sud ne cessait de grandir depuis dix ans et que
le phénomène de l'exode des cerveaux prenait sans
cesse de l'ampleur, les universités occidentales ayant
tendance à recruter les meilleurs étudiants et les
meilleurs chercheurs issus des pays en voie de développement.
Universitaires muets?
"Vous pourriez aider les universités du Sud en
les prenant pour partenaires", lance Teboho Moja à
l'assemblée. Plusieurs des conférenciers invités
ont en effet fait valoir que le monde universitaire reste singulièrement
absent des tribunes internationales où se décide
le sort du monde. La récente Déclaration de Johannesburg
sur le développement durable reste presque muette sur le
rôle prioritaire que peut jouer l'éducation pour
sortir du sous-développement, tout comme le NÉPAD,
ces propositions émanant de pays africains discutées
lors du récent sommet du G8 en Alberta en juin dernier.
Pourtant, comme le souligne David E.Bloom, professeur d'économie
et de démographie à l'Université Harvard,
les universités au Sud jouent un rôle primordial
pour résoudre des questions qui laissent le Nord indifférent.
Et de citer les recherches sur un vaccin contre la malaria qui
mobilise peu de chercheurs occidentaux car 90 % des victimes sont
africaines, ou sur la nécessaire amélioration des
petites cuisinières au bois pour réduire les affections
pulmonaires dont souffrent les enfants dans ces pays. Ricardo
Petrella, président du Groupe de Lisbonne, en a donc appelé
à la naissance d'une nouvelle université, pour créer
une autre globalisation. Selon plusieurs des participants au colloque,
il faut absolument faire entendre le discours universitaire aux
instances internationales, ou assurer, comme le propose Gilles
Breton, "une veille intellectuelle."
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