26 septembre 2002 |
Adrian-Mihai Cioroianu et Adrian Dragusanu, deux étudiants roumains inscrits au doctorat en histoire, ont fait leur soutenance de thèse le même jour, le 18 septembre dernier. Leurs thèses apparentées portent sur la Roumanie communiste. Le premier a étudié le mythe et les représentations du dirigeant qu'était Nicolae Ceausescu entre 1965 et 1989. Le second s'est penché sur la commémoration des héros nationaux par le régime du même Ceausescu.
Entre le mythe et le culte
Adrian-Mihai Cioroianu est chargé de cours à
la Faculté d'histoire de l'Université de Bucarest,
en Roumanie. Dans sa thèse, il met le personnage politique
qu'était Nicolae Ceaucescu en relation avec un certain
mythe du Dirigeant (Conducator, en roumain), mythe qui est présent
dans la culture politique traditionnelle de ce pays.
Élu chef du parti communiste roumain à 47 ans en
1965, Ceausescu est aussi chef de l'État. "Dissident,
rebelle, il représente une sorte de brèche dans
le monolithe du bloc soviétique", explique Adrian-Mihai
Cioroianu. Considéré comme l'intermédiaire
entre la nation et l'Histoire, surnommé entre autres "le
Champion de la paix", Ceausescu fera l'objet d'un culte de
la personnalité jusqu'aux années 1980, au cours
desquelles il perdra sa popularité. "En 1965, le culte
du chef n'existait pas dans le parti communiste roumain, indique
Adrian-Mihai Cioroianu. Or, ce culte a miné le parti, le
transformant en une armée de servants. La propagande, elle,
n'a pas servi le Dirigeant parce qu'elle était tellement
abondante. À la fin des années 1980, tout le monde
était saturé de voir Ceausescu deux heures chaque
jour à la télévision."
Si les Roumains ont rejeté Ceausescu en 1989, ce n'est
pas tant à cause de son autoritarisme, que le fait qu'il
a mal incarné le modèle de Dirigeant considéré
comme légitime et nécessaire par de nombreux citoyens.
"Le culte de la personnalité est mort, mais pas le
mythe du Dirigeant fort", souligne Adrian-Mihai Cioroianu.
Selon lui, seule une maturation de la démocratie libérale
dans la Roumanie d'aujourd'hui permettra à celle-ci de
rompre avec les pulsions autoritaires qui ont marqué son
passé.
Balcescu, Burébista et Mircea le Vieux
Adrian Dragusanu enseigne l'histoire au Collège national
I.L. Caragiale, à Bucarest. Trois commémorations
ont servi de base à sa recherche. Il y a eu celle de 1969
sur le 150e anniversaire du révolutionnaire Balcescu, celle
de 1980 sur Burébista, le roi des Daces, à l'occasion
du 2 050e anniversaire de la création du premier état
centralisé et indépendant des Daces, et celle de
1986 sur le 600e anniversaire du couronnement du voïvode
Mircea le Vieux. Lors de ces cérémonies, on a respectivement
construit un lien mythique entre Balcescu et Ceausescu, établi
une relation de filiation entre le roi dace et le chef de l'État
roumain, et entendu ce dernier référer à
son "ancêtre" médiéval Mircea le
Vieux. Selon Adrian Dragusanu, la propagande communiste a utilisé
les grandes personnalités de l'histoire roumaine pour les
transformer, en dépit de leurs traits spécifiques,
en éléments fondamentaux de la structure de pouvoir
de Ceausescu. "Par leur entremise, précise-t-il, Ceausescu
prétendait incarner le Dirigeant mythique des Roumains,
de manière absolue et accomplie."
Une nouvelle classe d'intellectuels francophones
Adrian-Mihai Cioroianu et Adrian Dragusanu ont amorcé
leurs études de troisième cycle à l'École
doctorale en sciences sociales d'Europe centrale, à Bucarest,
avant de les poursuivre et de les terminer à Québec.
Créée en 1994 par l'Agence universitaire de la francophonie,
l'École recrute sa clientèle en Bulgarie, en Hongrie,
en Moldavie, en Pologne et en Roumanie. Après un an d'études
à Bucarest, l'étudiant poursuit sa recherche dans
l'une des quatre universités francophones participantes.
"L'École a pour objectif de favoriser l'émergence
d'une nouvelle classe d'intellectuels francophones en Europe centrale",
explique le doyen de la Faculté des lettres, Jacques Mathieu.
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