26 septembre 2002 |
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Le poids corporel de chaque personne serait contrôlé par un régulateur interne et le plaisir sensoriel que provoque la consommation de nourriture est au service de ce "thermostat pondéral". Telle est la thèse qu'a défendue le professeur Michel Cabanac de la Faculté de médecine, lors d'une conférence publique présentée le 20 septembre dans le cadre du 70e Congrès annuel de la Société de physiologie. |
Honoré Daumier |
C'est justement ce à quoi s'affaire ce physiologiste depuis de nombreuses années par ses travaux sur le plaisir. La consigne du thermostat de chaque personne peut être déterminée, en laboratoire, en mesurant le temps requis pour que la sensation de plaisir que procure la consommation, à intervalles réguliers, d'une boisson ou d'un aliment sucré se transforme en sensation désagréable. Chez les sujets normaux, la prise de sucre est jugée plaisante pendant les premières minutes. À mesure que le temps passe, ce plaisir fait place à une impression neutre allant même jusqu'au déplaisir lorsque le sujet en a ras-le-bol. Fait intéressant, si le sujet crache la solution ou l'aliment au lieu de l'avaler, la sensation de plaisir ne s'émousse pas avec le temps.
"Pourtant, tous les volumes nous disent que le sucre
a un goût agréable, souligne Michel Cabanac, Cependant,
un même stimulus peut devenir désagréable
lorsque des signaux internes de l'organisme disent que c'est
assez de sucre. Une fois les réserves restaurées,
la sensation devient désagréable. La sensation
change en fonction de l'état interne du sujet. C'est ce
que nous appelons l'alliesthésie."
Une étude menée par l'équipe de Michel Cabanac
a montré que si cette même expérience est
menée avec des sujets qui ont perdu quelques kilos à
la suite d'un régime amaigrissant, l'alliesthésie
disparaît. "La sensation de satiété
ne se manifeste pas normalement et la prise alimentaire est prolongée",
note le chercheur. Lorsque l'expérience est répétée
avec les mêmes sujets revenus à leur poids pré-régime,
l'alliesthésie se manifeste à nouveau. "Tout
se passe comme s'il existait une consigne interne qui règle
la prise de nourriture jusqu'à ce qu'un poids donné
soit atteint."
Adaptation et supplice
Il semble exister un décalage et un réajustement
continuels de la consigne pondérale, souligne le physiologiste.
Cette flexibilité présentait un grand avantage
pour nos ancêtres qui évoluaient dans un environnement
alimentaire incertain. Lorsqu'ils rencontraient des sources abondantes
d'aliments, ils pouvaient ainsi se constituer des réserves
de graisses pour les mauvais jours. L'embonpoint de nos contemporains
d'âge mûr serait peut-être aussi un legs du
passé, laisse entendre Michel Cabanac. Ces réserves
constituaient un coussin de sécurité pour le chasseur
vieillissant moins assuré de ramener, jour après
jour, du mammouth frais à la caverne. Dans un environnement
où les épiceries et les restos fast-food sont ouverts
24 heures sur 24, ces merveilleuses adaptations présentent
cependant de gros inconvénients.
Le réglage du thermostat pondéral peut être
modifié de façon pharmacologique, ont montré
Michel Cabanac et son collègue Patrick Frankham, dans
un récent numéro de la revue scientifique Physiology
and Behavior. Des sujets fumeurs et des sujets non fumeurs
porteurs de timbres de nicotine, soumis à un test d'alliesthésie,
ont atteint la satiété plus rapidement que lorsqu'ils
n'avaient pas de nicotine dans l'organisme. "La nicotine
semble avoir un effet sur la consigne pondérale, ce qui
expliquerait peut-être pourquoi les gens qui cessent de
fumer prennent du poids, avance le professeur Cabanac. Ceci dit,
ce serait une erreur majeure de fumer pour contrôler son
poids."
Chez certains sujets obèses, soumis à un test d'alliesthésie
dans son laboratoire, la perception de plaisir ne s'estompe pas.
Il se peut, propose le chercheur, que leur mécanisme de
contrôle soit perturbé. "Je ne dis pas qu'il
n'y a pas de poids anormal, mais il ne faut pas culpabiliser
les obèses. Il est possible que la consigne pondérale
soit plus élevée chez ces personnes, de sorte que
la privation de nourriture est un supplice permanent pour elles."
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