Continuité
Cinq générations de chercheurs
issus d'une même lignée se retrouvent aujourd'hui
au sein du Département d'anatomie et de physiologie
Unique au monde? Difficile à dire. Au pays? Probablement.
À l'Université? À peu près sûr.
Il n'existe pas d'archives sur les dynasties ou les grandes familles
spirituelles de chercheurs, mais le Département d'anatomie
et de physiologie de la Faculté de médecine abrite
probablement l'une des plus anciennes au monde. En effet, l'arrivée
toute récente de l'étudiant-chercheur Alain Simard,
en début septembre, porte à cinq générations
la lignée de chercheurs actifs, issue du laboratoire de
Jacques LeBlanc.

De la suite dans les idées: Jacques LeBlanc,
Denis Richard, Serge Rivest, Luc Vallières et Alain Simard
photo Marc Robitaille
Pour faire une histoire courte, disons simplement que les
travaux de doctorat qu'entreprend Alain Simard sont codirigés
par Luc Vallières et Serge Rivest, du Centre de recherche
du CHUL. Or, Luc Vallières a lui-même obtenu son
doctorat en 1998 dans le labo de Serge Rivest qui, à son
tour, avait obtenu un doctorat en 1990 sous la direction de Denis
Richard. Ce dernier a fait un doctorat en 1982 dans le laboratoire
de Jacques LeBlanc. Le compte y est: cinq générations
de physiologistes provenant d'un laboratoire souche.
Conditions gagnantes
Difficile de départager le hasard et les "conditions
gagnantes" dans la façon dont s'est constituée
cette singulière confrérie de chercheurs. Chose
certaine, il a fallu un curieux concours de circonstances pour
en arriver là. D'abord, Denis Richard, Serge Rivest, Luc
Vallières et Alain Simard ne sont pas de "purs produits"
de Laval puisque, au baccalauréat, ils ont étudié
respectivement à l'UQTR, à Sherbrooke, à
l'UQAC et à l'Université Laurentienne. Ils auraient
donc pu facilement se retrouver sous d'autres cieux lorsque le
moment de faire leur doctorat est venu. "Je voulais me trouver
un bon lab, dans une ville que j'aime. J'ai considéré
Toronto, Ottawa, Montréal et Québec et le meilleur
lab était à Laval", résume le dernier
arrivé, Alain Simard, pour expliquer son choix.
"Nos bons étudiants font des post-doctorats dans
des universités étrangères réputées.
L'Université Laval engage les meilleurs qui reviennent
ici avec tout un lot d'idées nouvelles. Leur retour représente
une force pour l'Université."
Serge Rivest aurait pu briser la chaîne très
tôt. "Au bac, j'étudiais en activité
physique, je tripais sur le hockey et sur les autres sports et
c'était clair dans mon esprit, je voulais devenir professeur
d'éducation physique. Mais, comme il n'y avait pas d'emploi
pour les finissants, j'ai fait une maîtrise, puis un doctorat
en nutrition. De fil en aiguille, je me suis intéressé
à la recherche fondamentale. C'est au post-doc, en Californie,
que j'ai vraiment eu la piqûre de la recherche et que j'ai
décidé d'en faire une carrière. Je couchais
dans le labo." Au terme de ce post-doctorat au Salk Institute,
les universités de Toronto, McGill et Laval lui offrent
un poste. "J'ai rencontré Fernand Labrie (directeur
du Centre de recherche du CHUL) dans un colloque et il m'a convaincu
que le centre avait une très bonne infrastructure avec
tout l'équipement nécessaire pour mes travaux.
En rétrospective, il avait raison. Ça m'a permis
de démarrer rapidement et d'avoir très tôt
mon propre labo avec mes étudiants, ce qui est crucial
pour un chercheur qui commence."
Luc Vallières a choisi, lui aussi, de revenir au Centre
de recherche du CHUL, en décembre dernier, après
un post-doc au Salk Institute. "Je ne vois que du positif
dans ce retour, analyse-t-il. Je connais tout le monde ici, les
techniciens m'aident beaucoup et l'infrastructure est ce qu'il
y a de mieux au Québec. J'ai pu commencer mes travaux
sans délai et être productif immédiatement."
Question de traditions
Pour en arriver à une lignée de cinq générations
de chercheurs dans un même département, il faut
trois conditions, avance Denis Richard. Premièrement,
il faut que les étudiants-chercheurs choisissent de venir
étudier à Laval. "Le Département de
physiologie a une grande tradition de recherche qui a commencé
avec Claude Fortier et Jacques LeBlanc. Ce sont des pionniers
de la recherche au pays. C'est ce qui m'a attiré ici en
1978 et cette grande tradition se poursuit encore aujourd'hui."
Deuxièmement, il faut que les gens reviennent travailler
ici après leurs études. "Si les chercheurs
reviennent, c'est que le milieu a été bon pour
eux, qu'il est propice au développement de leurs travaux
et que la qualité de vie à Québec est excellente.
Il y a aussi la question de la langue et de la culture qui entre
en ligne de compte." Denis Richard, qui dirige aujourd'hui
le Centre de recherche Hôpital Laval, n'a pas hésité
une seconde en 1984, lorsque l'Université lui a offert
un poste au terme d'un post-doctorat à l'Université
de Cambridge en Angleterre. Enfin, troisième condition,
il faut que les chercheurs soient performants très tôt
dans leur carrière. "C'est d'ailleurs pourquoi je
ne crois pas qu'il y ait de risque d'"inbreeding" des
idées, explique Denis Richard. Nos bons étudiants
font des post-doctorats dans des universités étrangères
réputées. L'Université Laval engage les
meilleurs qui reviennent ici avec tout un lot d'idées
nouvelles. Leur retour ne représente pas un danger, mais
bien une force pour l'Université."
Choisir de rester
On pourrait ajouter une quatrième condition à
la liste de Denis Richard. Il faut que ces brillants jeunes chercheurs
restent. C'est ce que Jacques LeBlanc a fait. Après avoir
passé sept ans en Ontario, au Manitoba et aux États-Unis,
il a choisi de rentrer à Québec en 1958. "J'ai
quitté Baltimore pour accepter un poste ici, même
si mon salaire baissait de 4000 $. Je voulais revenir parce que
la qualité de vie est meilleure ici. De plus, j'ai toujours
eu de très bonnes conditions pour faire de la recherche
à la Faculté." Son dossier de publications,
qui compte plus de 250 articles, en fait foi.
Aujourd'hui âgé de 81 ans, le professeur LeBlanc
poursuit toujours ses travaux de recherche. "À ce
stade-ci de ma carrière, je publie moins, confesse-t-il,
comme pour s'excuser. Par contre, je retire beaucoup de fierté
de voir ce que les étudiants que j'ai formés réalisent.
Ce sont des sommités dans leur domaine et ils font un
travail fantastique. Ça m'apporte une très grande
satisfaction."
JEAN HAMANN
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