5 septembre 2002 |
Pour la première fois en sept élections, la procédure
de sélection du recteur de l'Université Laval a
conduit à une impasse le 3 avril dernier. Après
trois tours de scrutin, aucun des deux candidats toujours dans
la course n'a réussi à obtenir la majorité
requise au sens des statuts. Au dernier tour, l'annulation de
11 bulletins a laissé le candidat Pierre Moreau à
une voix de la majorité requise. Résultat: l'Université
s'est retrouvée dans une situation sans précédent
dans son histoire.
Depuis quelques semaines, des voix s'élèvent pour
remettre en question la procédure de sélection du
recteur présentement en vigueur. Le recteur sortant, François
Tavenas, a lancé le débat en faisant parvenir une
lettre aux membres du Conseil d'administration et aux médias,
dans laquelle il dénonce la procédure actuelle qui
ouvre la porte aux "dérives politiciennes" et
qui fait "obstacle à la matérialisation de
candidatures externes de haut niveau". "Qui prendrait
le risque de se porter publiquement candidat, affaiblissant ainsi
sa position dans son organisation, sans assurance d'avoir le poste
convoité?", demande-t-il.
Le Soleil, dans son éditorial du 7 août, signé
par Julie Lemieux, en rajoute. Les événements de
la dernière course au rectorat sont un gâchis, écrit-elle,
déplorant même le fait que Pierre Moreau se soit
porté candidat contre le recteur sortant dans une "élection
qui n'était pas essentielle à l'épanouissement
de l'Université Laval". L'éditorialiste conclut
qu'il est "souhaitable que l'institution se mette au diapason
des autres universités québécoises et canadiennes
et élabore un mode de nomination du recteur qui évitera
le plus possible les déchirements, l'insécurité
et les impasses."
Élire ou nommer?
La très grande majorité des universités
canadiennes et américaines confient à une firme
ou à un comité le soin de recruter le meilleur candidat
possible pour le poste de recteur. Cette procédure, passablement
secrète, est similaire à celle utilisée pour
recruter les dirigeants des grandes entreprises. De leur côté,
l'Université Laval, l'Université de Sherbrooke et
l'UQ confient à un collège électoral, composé
de professeurs, d'administrateurs, d'étudiants et d'employés,
le mandat d'élire un recteur au terme d'une campagne électorale
publique.
Selon le politicologue Vincent Lemieux, le choix du mode électif,
retenu par l'Université au moment de l'adoption de sa charte
en 1971, reflète l'humeur de l'époque. "Le
Québec vivait des années de politisation intense,
le Parti québécois venait de faire élire
ses premiers députés, l'intérêt de
la population pour la politique était très élevé.
La société a déteint sur l'Université
qui a choisi de faire participer la communauté universitaire
au processus de sélection du recteur. Dès la première
élection cependant, la composition du collège électoral
a été contestée. Les étudiants estimaient
être mal représentés."
L'impasse électorale du printemps dernier soulève une question de fond sur le campus: vaut-il mieux élire ou nommer le recteur?
C'est encore le cas trois décennies plus tard, puisque
"les étudiants n'ont que 10 % des sièges au
collège électoral, alors qu'ils forment 89 % de
la communauté universitaire", fait valoir le président
de la CADEUL, Pier-André Bouchard St-Amant. "Pourtant,
l'Université devrait être un modèle pour la
société au plan de la représentativité
électorale." La CADEUL plaide pour le maintien d'une
procédure élective, quitte à l'amender au
besoin, qu'elle juge plus démocratique que le mode nominatif.
"La campagne qui précède l'élection
permet d'amener, sur la place publique, les débats concernant
l'avenir de l'Université, insiste le président.
Le recteur occupe une fonction publique, il doit avoir passé
le test d'une campagne publique. Le mode nominatif réduirait
l'Université à une simple entreprise qui ignorerait
les professeurs et les étudiants, qui sont ses composantes
fondamentales."
Le politicologue Guy Laforest reconnaît que la dernière
campagne a permis de vigoureux débats d'idées, mais,
poursuit-il, "on se berne en parlant de démocratie
à l'Université. L'Université n'est pas une
démocratie, c'est une institution d'enseignement supérieur
avec un ministre responsable qui en répond devant l'Assemblée
nationale. L'Université n'est pas la société,
et quiconque prétend le contraire entretient la confusion.
Cela dit, l'Université n'est pas une entreprise non plus."
L'heure du choix
"Il est difficile de se départir d'une procédure
avec laquelle on a vécu pendant 30 ans, mais il faut reconnaître
qu'elle est peut-être moins appropriée aujourd'hui
qu'à l'époque, analyse prudemment Vincent Lemieux.
Chose certaine, il est plus que temps qu'il y ait un débat
sur cette question."
Échaudé par la dernière campagne dans laquelle
il s'est investi à fond comme conseiller dans l'équipe
Moreau, Guy Laforest est plus catégorique. "La procédure
actuelle a fait son temps. D'une part, parce qu'elle favorise
le recteur sortant qui sollicite un deuxième mandat. Il
faut investir une quantité folle d'énergie, de temps
et de ressources pour espérer rivaliser avec le recteur
en place." D'autre part, le politicologue reconnaît
que la procédure élective favorise les candidats
de l'interne, à un point tel "qu'on peut se retrouver
avec une élite administrative extrêmement locale.
Il est évident que l'approche nominative élargirait
le bassin de recrutement des candidats. Cependant, je ne crois
pas qu'on puisse adopter une procédure aussi secrète
que les universités anglophones. Ce serait trop en rupture
avec les moeurs de l'Université Laval."
Le Conseil d'administration a convenu de procéder à
un examen en profondeur du mode de sélection du recteur
après l'élection du 15 octobre. "La communauté
universitaire devrait être consultée afin d'établir
les grandes orientations qui seront privilégiées",
avance Pierre Lemieux, doyen de la Faculté de droit et
président du Comité des amendements des statuts.
L'échéancier de cette opération n'est pas
arrêté pour le moment.
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