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Isabelle Simard est forcément une personne patiente
et minutieuse. Aucun doute possible là-dessus. Il faut
une très bonne dose de chacune de ces qualités
pour mener à bien les travaux qu'elle a entrepris. L'étudiante-chercheure
du Centre de recherche en aménagement et développement
(CRAD) étudie l'abondance relative des tordeuses des bourgeons
de l'épinette au fil des siècles, en quantifiant
les restes de cet insecte, enfouis à différentes
profondeurs dans le sol.
Habituellement, dans ce genre d'études,
les restes en question sont des pupes - le cocon dans lequel
l'affreuse larve de tordeuse se transforme en horrible papillon
-, ou encore des capsules céphaliques - une sorte de casque
de moto avec visière qui recouvre la tête des larves
-. Mais, les macrofossiles les plus abondants et les mieux conservés
qu'Isabelle Simard a découverts dans ses échantillons
de sol sont, et de façon claire et nette, des crottins. |
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"Les crottins de tordeuse constituent une preuve directe
de la présence et de l'abondance de ces insectes",
fait-elle valoir dans un article qu'elle publie dans un récent
numéro de la revue scientifique Canadian Journal of
Forest Research. "Ils s'accumulent près de l'endroit
où ils ont été produits, ils sont faciles
à repérer dans le sol et ils sont spécifiques
à l'espèce." En plus, leur grande abondance
facilite la reconstitution des épidémies de tordeuses,
poursuit l'étudiante-chercheure, dont les travaux sont
dirigés par Hubert Morin de l'UQAC et par Claude Lavoie
du Département d'aménagement. "Au printemps,
en particulier pendant une épidémie, les milliers
de larves qui sortent d'hibernation se nourrissent de jeunes
pousses de sapin et produisent des crottins qui tombent au sol
comme de la pluie."
Une étudiante du CRAD reconstitue
les populations passées de tordeuses des bourgeons de
l'épinette en passant à la loupe leurs "petits
cadeaux"
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Abondants les crottins, sûrement,
mais encore faut-il avoir l'oeil. Ces petits cadeaux font, chez
la tordeuse normalement constituée, de 1 à 3 mm
de longueur et leur couleur se confond avec celle de l'humus.
Isabelle Simard a utilisé ce nouvel indicateur paléoécologique
pour retracer les épidémies de tordeuse dans le
secteur du lac Libéral, au nord du Lac-Saint-Jean. Elle
a ainsi pu déterminer que des pics d'épidémie
avaient eu lieu en 1914, 1952 et 1974. L'humus plus épais
provenant de l'archipel de Mingan a raconté une plus longue
histoire. La chercheure a retrouvé la trace des trois
périodes épidémiques du XXe siècle,
et elle a pu également remonter beaucoup plus loin dans
le passé. En fait, grâce à cette méthode,
elle a établi que la présence de la tordeuse dans
la région de Mingan remonte à au moins 1520 ans! |
L'inventaire des crottins n'est pas un outil parfait,
admet l'étudiante-chercheure. Cependant, combiné
aux méthodes dendrochronologiques et aux analyses de pollen,
il permet de préciser l'évolution des populations
de tordeuses au fil des siècles et de mieux comprendre
les facteurs associés aux épidémies de cet
insecte.
JEAN HAMANN
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