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22 août 2002 ![]() |
Monsieur le Président, lors de la récente réunion
du Conseil d'administration de l'Université Laval, le secrétaire
général a déposé son rapport sur la
dernière élection au rectorat de notre université.
J'ai lu ce rapport avec attention pour conclure, dans un premier
temps, que l'ensemble des recommandations devraient faire l'objet
d'un suivi positif de la part du Conseil d'administration et de
la communauté universitaire. Je me permets à ce
sujet de souligner que la question des qualifications minimales
requises pour tout candidat au rectorat devrait être réglée
dans les meilleurs délais. Je ne vois pas pourquoi le Conseil
d'administration ne pourrait pas fixer, dès maintenant
et de sa propre autorité, que tout candidat au rectorat
doit posséder au moins les mêmes qualifications que
nous exigeons aujourd'hui de tout candidat à un poste de
professeur, de directeur de département ou de doyen, soit
d'être détenteur d'un doctorat ou d'une maîtrise
et d'une expérience pertinente remarquable. Je vois mal
en effet comment une personne ne disposant pas de telles qualifications
pourrait avoir la crédibilité nécessaire
pour assumer efficacement les fonctions de recteur.
Ceci dit, je voudrais vous faire part de mes préoccupations
plus larges concernant la procédure de sélection
du recteur de l'Université Laval. Notre université
est une des seules en Amérique du Nord à choisir
son recteur par le biais d'une élection par un collège
électoral substantiel, à l'issue d'une campagne
électorale publique. Un tel processus ne nous permet pas
de mobiliser les meilleures candidatures possibles et me semble
porteur de graves dangers, dont certains semblent s'être
manifestés récemment. Comme je l'ai souligné
dans mon dernier discours au Conseil universitaire, ce processus
fait l'objet de critiques fortes dans divers milieux et je suis
convaincu que la communauté universitaire ne peut se soustraire
à une réflexion approfondie sur la question.
Dans un premier temps, notre processus électif public est
certainement un obstacle à la matérialisation de
candidatures externes de haut niveau. Quelle personne d'expérience
et de talent, occupant certainement un poste important dans une
autre organisation, prendrait le risque de se porter publiquement
candidat, affaiblissant ainsi sa position dans son organisation,
sans assurance d'avoir le poste convoité. De plus, comment
un candidat externe, sans réseau d'appuis internes, pourrait-il
avoir une chance égale de succès contre des candidats
internes bien établis? De fait, l'histoire passée
montre que les élections au rectorat n'ont pas attiré
de candidats externes crédibles, mon cas personnel étant
exceptionnel dans la mesure où j'avais une connaissance
intime de Laval et où l'Université McGill a une
longue tradition d'ouverture aux autres universités (six
des actuels présidents d'universités du Groupe des
dix sont d'anciens administrateurs de McGill). Ce faisant, l'Université
Laval se prive de la connaissance d'autres milieux, de l'expérience
d'autres cultures organisationnelles, de l'ouverture à
d'autres réseaux, toutes choses très précieuses
dans un contexte d'ouverture croissante sur le monde et à
de nouvelles concurrences, dans un contexte de changement permanent.
Alors que toutes les universités conviennent aujourd'hui
des dangers du "in-breeding" dans le recrutement de
leurs professeurs, les mêmes dangers se matérialisent
dans le choix des gestionnaires. L'expérience des grandes
universités américaines comme Harvard, Princeton,
Stanford ou Yale, qui recrutent fréquemment leurs doyens
et leurs présidents à l'externe et qui en tirent
manifestement les plus grands avantages, devrait nous porter à
réfléchir.
Dans un deuxième temps, notre processus électoral
ouvre toute grande la porte à toutes les dérives
"politiciennes" qui peuvent miner la crédibilité
de la fonction de recteur et de l'institution, tout comme elles
ont miné la crédibilité des gouvernements
un peu partout sur la planète. Ainsi, comme on l'a vu avec
l'intervention du RASUL dans la récente campagne, les différents
groupes formant la communauté universitaire se transforment
en groupe de pression avec des demandes de nature corporatiste
et exigent des réponses des candidats sur des questions
qui devraient normalement faire l'objet de négociations
dans le cadre du code du travail ou qui, surtout, devraient être
abordées dans le contexte d'arbitrages délicats
en fonction des meilleurs intérêts de l'institution,
dans un processus de gestion responsable. Les candidats sont alors
placés dans une situation impossible. En effet, ils peuvent
répondre de manière électoraliste pour s'attirer
les faveurs de tel ou tel groupe de pression, mais ils courent
le risque de ne pouvoir ensuite "livrer la marchandise",
tombant ainsi dans le piège bien connu des milieux politiques
et faisant perdre toute crédibilité à la
fonction. Ils peuvent encore répondre de façon vague
pour éviter d'être ensuite liés par des promesses
intenables, mais alors ils ne seront pas très crédibles.
Ou ils peuvent répondre de manière claire et responsable,
mais ils sont pratiquement assurés de se mettre à
dos tel ou tel groupe de pression, et donc une partie du collège
électoral. Toutes ces hypothèses sont également
dommageables pour l'institution.
Notre processus électoral porte en lui un autre danger,
autrement plus grave: celui de l'ouverture à toutes sortes
d'influences externes dans le choix du recteur. Une université
comme Laval est un acteur considérable du milieu régional.
Elle influence le développement culturel, économique,
social et urbain; elle exerce un rôle critique dans la société
et elle intervient de multiples façons dans les grands
débats régionaux et nationaux; elle exerce aussi
un pouvoir économique considérable par les services
qu'elle achète et par les investissements qu'elle fait.
Il serait pour le moins naïf de croire que les milieux politiques
et économiques externes vont se désintéresser
du choix du leader d'un tel acteur régional. Or, si l'Université
veut jouer efficacement son rôle, elle doit pouvoir le faire
en toute indépendance et en toute objectivité. Si
l'Université a l'obligation de s'ouvrir à son milieu
dans ses actions de formation, de recherche, de développement
et de transfert des connaissances, elle doit, en contre-partie,
avoir l'obligation impérieuse de conserver toute son indépendance
dans le choix de ses dirigeants. S'il est un domaine dans lequel
le statut de "tour d'ivoire" doit être conservé,
c'est bien dans le processus de choix du recteur qui ne devrait
jamais devoir quoi que ce soit à qui que ce soit. Or notre
processus d'élection n'offre aucune garantie à ce
sujet, bien au contraire. La question des dépenses électorales
devrait, en particulier, faire l'objet d'un examen très
attentif quant aux graves dangers dont elle est porteuse.
La fonction de recteur est très exigeante. Elle demande
une crédibilité à toute épreuve et,
surtout, la plus grande indépendance possible par rapport
à tout groupe de pression et à tout intérêt
particulier, interne ou externe. La procédure d'élection
ne permet absolument pas de garantir cette indépendance;
bien au contraire, elle expose les candidats, et donc le futur
recteur, à toutes sortes d'influences problématiques.
Il me semble donc essentiel que cette procédure même
soit remise en question.
La quasi totalité des universités nord-américaines
choisissent leurs dirigeants par des processus de sélection,
par des comités constitués de représentants
des différentes composantes de la communauté universitaire.
Ces comités agissent sous le sceau de la confidentialité
pour permettre la considération de candidats externes d'envergure
et pour protéger ces candidats et le processus lui-même
de toute influence externe. Ces processus de sélection
ont bien servi toutes ces universités et je vois mal ce
qui nous justifierait de continuer à être une exception.
À ceux qui objecteraient que la sélection par un
comité est un processus contraire à la collégialité
des décisions universitaires, je répondrais que,
jusqu'à preuve du contraire, les grandes universités
canadiennes et américaines sont plutôt des modèles
de gestion collégiale et respectueuse de la liberté
académique. À ceux qui voudraient s'inspirer du
modèle français, je soulignerais que le président
d'université en France est très loin d'avoir les
responsabilités de gestion des ressources humaines et financières
qu'on retrouve chez nous.
Enfin, et sur une note ironique, je voudrais souligner une des
conséquences bizarres de notre processus d'élection
par un collège électoral. Comme ce collège
n'existe que pour la durée de l'élection, le recteur,
une fois élu, ne peut être démis puisque l'instance
qui l'a élu n'existe plus et ne peut être reconstituée
avant la fin du mandat du recteur! Nos statuts ne prévoient
absolument rien pour le cas du recteur qui deviendrait inapte
tout en voulant demeurer à son poste. Dans un processus
de sélection et de nomination par le Conseil d'administration,
comme il est d'usage dans la quasi-totalité des universités
nord-américaines, le CA qui nomme a, bien entendu, le pouvoir
de démettre au besoin, donnant à l'institution la
garantie d'être gouvernée de façon efficace
et responsable en toute circonstance.
Voilà, Monsieur le Président, ce que je voulais
partager avec vous, les membres du Conseil d'administration et
la communauté universitaire, au moment où je m'apprête
à quitter mes fonctions. Je n'ai, ce faisant, d'autre
motivation que de protéger les intérêts supérieurs
de l'Université Laval et de contribuer, comme je pense
l'avoir toujours fait, à assurer à la première
université francophone d'Amérique un avenir à
la hauteur de sa belle histoire et, surtout, de son énorme
potentiel.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression
de mes sentiments les meilleurs.
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