23 mai 2002 |
C'est à l'aune des attentats terroristes du 11 septembre
dernier, survenus aux États-Unis, que l'on mesure aujourd'hui
certains phénomènes de société et
leur impact planétaire. Ainsi en est-il du fanatisme, qui
a fait l'objet d'une conférence, intitulée "Le
fanatisme ou les jeux pervers du pouvoir et du sacré",
prononcée par le professeur Raymond Lemieux, de la Faculté
de théologie et de sciences religieuses, dans le cadre
des travaux de la Société québécoise
pour l'étude de la religion inscrits au programme du Congrès
de l'ACFAS.
"Malheureusement, depuis le 11 septembre 2001, les sciences
religieuses sont devenues des disciplines stratégiques,
a-t-il lancé en guise d'introduction. Malheureusement
l'adverbe doit être pris ici dans son sens strict ,
il aura fallu un malheur, une explosion d'absurdité, pour
que saute aux yeux l'importance du religieux dans nos sociétés
et que les médias, comme la classe politique, commencent
sinon à s'en préoccuper, du moins à se questionner
à son propos d'une façon plus nuancée que
d'habitude."
Dans ces circonstances dramatiques, où s'est mise en branle
la lutte du bien contre le mal du président George W. Bush,
sorte de combat "pour les valeurs inaliénables de
la liberté et de la civilisation contre le terrorisme
et l'obscurantisme", le fanatisme ou plutôt les fanatismes
contemporains se révèlent ainsi comme des "instrumentalisations
politiques d'inventions sacrées relevant d'une logique
mondialisée et globale, transnationale et souvent transconfessionnelle".
La logique sectaire
"Le fanatisme se construit, subjectivement, dans l'expérience
du non-sens à laquelle il oppose un sens qui se veut tout
aussi absolu que le vide qu'il affronte, explique Raymond Lemieux.
Il relève de la logique sectaire par sa propension suicidaire;
il relève de la logique psychotique par sa propension à
corriger le monde. Le fanatique expose sa détresse là
où la raison ordinaire, dominante, ne peut plus rendre
compte de son expérience concrète parce qu'elle
la contredit. C'est donc foncièrement une mise en cause
du croyable au fondement de la socialité humaine. Le fanatique
dit en quelque sorte: "Vos discours ne sont pas croyables,
mon expérience le prouve, elle les contredit." Et
il met sa vie et celle des autres en jeu pour rétablir
un discours croyable: le sien. Il est hors raison, bien sûr,
si on entend par raison la "subtilité" d'une
position de compromis avec le monde. Ce n'est pas cette raison
qui parle en lui mais bien le sentiment, l'irruption pulsionnelle
qui le subjugue et aliène ses raisonnements, en les soumettant
à son service."
Une telle logique sectaire n'est pas l'apanage des seuls groupements
religieux, affirme le sociologue de la religion. On la trouve
également dans les sports, dans les affaires et même
dans l'expérience amoureuse où, semble-t-il, "les
amoureux sont seuls au monde". "Toute organisation sociale
fondée sur la pratique d'une performance qui assure une
place plus ou moins privilégiée à ceux qui
la réalisent présente des tendances sectaires",
juge-t-il en pointant du doigt une économie capitaliste
qui, axée sur le succès, crée des champions
mais brise en cours de route toute solidarité préalable.
La pertinence des sciences religieuses, dans un contexte où
la logique du fanatisme se borne à dualiser le monde,
apparaît évidente aux yeux de Raymond Lemieux. "En
procédant à l'analyse des mythes, des rites et des
croyances dont se nourrit la civilisation, celles-ci ont ainsi
pour rôle de renvoyer le sujet humain à l'éthique
de son désir, par l'élucidation de ses intérêts,
dans ce que j'appellerais volontiers, avec Tillich, le courage
d'être, ce courage de saisir la vie comme contrainte,
certes, mais aussi comme possibilité d'ouverture, dans
la lucidité quant à ses origines et aussi quant
à ses utopies", souligne-t-il.
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