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23 mai 2002 ![]() |
La vision de l'histoire du Québec qu'ont les jeunes Québécois
est très linéaire, tourne autour d'épisodes
convenus, met en scène des personnages bien connus et s'articule
dans des nuds d'intrigue essentiellement politiques qui recoupent
principalement ceux du grand récit nationaliste québécois,
lequel pourrait s'intituler: "Histoire du destin manqué
d'un peuple victime des autres et de ses propres hésitations".
C'est la constatation à laquelle en arrivent Sabrina Moisan
et Jocelyn Létourneau, respectivement étudiante
à la maîtrise et professeur au Département
d'histoire de l'Université Laval, après avoir fait
subir un test à quelque 400 étudiants de la région
de Québec inscrits au secondaire, au collégial et
à l'Université. Ces derniers ont eu à rédiger
une courte dissertation dans laquelle ils devaient présenter
ou raconter, selon leur perception ou leurs connaissances, l'aventure
québécoise depuis son début.
"Loin d'être pauvre et incohérente, cette vision
est en effet emballée et structurée, révèlent
les chercheurs. Elle témoigne de l'assimilation ample d'un
récit de l'aventure québécoise celui
du "peuple abandonné, reclus, se redressant mais toujours
hésitant à s'accomplir" dont on se demande
comment il a pu imprégner l'esprit des jeunes et, surtout,
pourquoi il s'y maintient de manière apparemment indélogeable
alors même que ses assises, tant scientifiques que politiques,
sont ébranlées par les avancées de la recherche
historienne et par la situation globale du Québec contemporain."
Sur les bancs de l'école
Jocelyn Létourneau et Sabrina Moisan ont donc essayé
de découvrir, dans un premier temps, jusqu'à quel
point le milieu scolaire, du secondaire à l'Université,
était propice à l'assimilation du "récit
mélancolique de l'histoire québécoise"
narré par les jeunes Franco-Québécois d'héritage
canadien-français de leur étude. Leur investigation
de ce côté a laissé transparaître une
évidence: ni le programme d'histoire en secondaire IV ni
celui de sciences humaines au collégial "ne nourrissent
explicitement, immédiatement ou simplement" la vision
qu'ont les jeunes du passé québécois.
"Il est faux de prétendre que les manuels d'histoire
du Canada-Québec en usage en secondaire IV sont nappés
de sauce nationaliste, affirment-ils. Leur propos est en fait
assez nuancé et plurivoque: les francophones ne sont présentés
ni comme les malheureuses victimes des Anglais ni comme les dindons
de la farce canadienne. Ils ne sont pas davantage dépeints
comme des porteurs de croix. Leur patriotisme n'est pas non plus
exclusivement dirigé vers le Québec, mais vers le
Canada aussi jusqu'à récemment tout au moins."
Les chercheurs ont alors poussé leur exploration en direction
du "système de classe" et de la dynamique pédagogique
enseignants/étudiants. Pour toutes sortes de raisons,
ont-ils constaté, ce sont les enseignants qui transmettent
généralement la vision nostalgique et mélancolique
du passé québécois que les jeunes ont repris
à leur compte. "On peut penser que les enseignants
sont nombreux à endosser le régime historial de
la "tragédie québécoise", font-ils
remarquer. En présentant le sujet québécois
sous l'angle de la victime, ceux-là croient raconter la
meilleure histoire possible du Québec. Par ailleurs, il
est un nombre probablement aussi grand d'enseignants qui disposent
de compétences limitées pour raconter l'histoire
du Québec aux jeunes."
Pessimisme droit devant
Il ne faut toutefois pas sauter trop rapidement à la
conclusion que le "système de classe" et les
compétences restreintes du personnel enseignant sont les
seuls responsables de la représentation misérabiliste
de l'histoire québécoise qui a cours chez les jeunes.
Selon les chercheurs, la question renvoie à la présence
forte, au sein de l'espace public québécois, d'une
mémoire historique qui inspire le rapport à son
passé de toute une "communauté de références",
celle des Franco-Québécois d'héritage canadien-français.
Comme ces renforcements scolaires et sociétaux influent
de manière indéniable sur "un" récit
de l'aventure québécoise, est-il possible qu'un
jour prochain, si l'on considère celui-ci comme étant
insatisfaisant, on puisse changer cet état de fait? "Pour
être franc, nous sommes particulièrement pessimistes
à cet égard, tout au moins à court terme,
répondent Jocelyn Létourneau et Sabrina Moisan.
C'est dans la mesure où la société québécoise
dans son ensemble reviendra sur son expérience passée
pour la revoir à l'aune d'une nouvelle histoire que les
jeunes pourront prochainement passer à un autre régime
historial et mémoriel et que, sur cette base, ils se feront
fiduciaires d'un avenir dégagé de certains empêtrements
narratifs désuets."
Précisons ici que les deux chercheurs du Département
d'histoire ont présenté les grandes lignes de leur
étude Histoire et mémoire du Québec chez
les jeunes Québécois, le 15 mai, dans
le cadre du congrès de l'Acfas.
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