23 mai 2002 |
Proposé à trois scientifiques de différents
horizons, le même thème de débat appelle parfois
des réponses distantes de plusieurs années-lumière!
C'est ce qu'a clairement démontré la Grande conférence
publique du 70e Congrès de l'Acfas, au cours de laquelle
l'astrophysicien Hubert Reeves, l'ingénieur Gregory Schinn,
de la firme Exfo, et l'historien des sciences Yves Gingras, de
l'UQÀM, ont présenté leurs vues sur le thème
"Sciences: la bourse ou la vie?"
Devant une salle plus que comble - plusieurs dizaines de personnes
n'ont pu entrer dans l'amphithéâtre Hydro-Québec
du pavillon Desjardins où s'entassaient déjà
350 participants -, Hubert Reeves a rappelé qu'il faisait
de la science d'abord pour satisfaire sa curiosité: "Ce
que la science nous a appris de plus important est le rapport
entre l'Univers et nous". La purée de particules élémentaires
d'il y a 15 milliards d'années a conduit, par le processus
de croissance de la complexité, à l'Univers que
nous connaissons aujourd'hui et à toutes les formes de
vie connues. "Nos grands-mères étaient des
étoiles parce que les atomes qui nous composent ont été
formés dans les étoiles, rappelle Hubert Reeves.
La science nous dit des choses sur nous et elle nous insère
dans la grande aventure de l'Univers."
Cette aventure pourrait prendre fin abruptement pour le genre
humain, si nous ne changeons pas nos façons de faire, a-t-il
cependant prévenu. La hausse de la température terrestre
pourrait conduire à différents scénarios
catastrophe pour l'espèce humaine. Au pire, le scénario
Vénus: aucune forme de vie n'est connue sur la planète
jumelle de la Terre où règne une température
de 500 degrés Celsius. Plusieurs degrés plus bas,
le scénario désert: la température grimpe
à 50 degrés, les insectes deviennent la forme de
vie dominante et "s'il reste des humains, ils devront climatiser
à max!" Heureusement, il y a le scénario optimiste:
les humains s'assagissent et il y a prise en charge du problème
à l'échelle mondiale. "En plus de nous apprendre
d'où nous venons, la science peut nous aider à guérir
la planète et à nous assurer qu'elle aura un avenir."
La bourse et le pendule
Dans la lorgnette du responsable de la recherche en ingénierie
électro-optique chez Exfo, la question "La bourse
ou la vie?", prend un tout autre sens. Avec raison puisque,
la journée même, la firme de Vanier annonçait
qu'elle congédiait 20 % de son personnel "pour diminuer
sa structure de coût", selon les termes du communiqué
officiel de la compagnie. Fleuron de l'industrie de pointe dans
la région, Exfo connaît des hauts et des bas depuis
que la compagnie est cotée en bourse. "La bourse nous
apporte le carburant qui permet la réalisation des applications
de la connaissance, fait valoir Gregory Schinn. Depuis deux ans,
les marchés boursiers se sont emballés pour les
sciences appliquées (il y a un an, l'action d'EXFO cotait
à plus de 50 $; elle se transigeait à moins de 6
$ cette semaine). Mais, la science a toujours été
tiraillée entre la quête de connaissances et leurs
applications. Le pendule oscille."
À cause de l'hyperspécialisation des chercheurs,
les grandes découvertes fondamentales se font plus rares
depuis quelques décennies, constate-t-il. "Il faut
maintenir un équilibre entre la recherche en sciences fondamentales
et ses applications. Sans nouvelles connaissances, les sciences
appliquées vont s'essouffler. Par contre, il faut aussi
admettre que les sciences pures n'avanceraient plus sans les outils
que leur procurent les sciences appliquées."
Le choix
"Depuis 20 ans, la véritable question n'oppose
plus recherche fondamentale et appliquée, mais la recherche
pour le bien public ou pour le bien privé", a lancé
Yves Gingras. Les grandes découvertes fondamentales ont
été faites dans les universités, dans un
contexte où la recherche était vue comme un bien
public. "Maintenant, les compagnies font breveter les gènes
qu'elles découvrent. On vend la vie à la bourse!"
Le déclin des investissements publics dans les universités
a forcé les chercheurs à se tourner vers le secteur
privé. En 1992, 75 % des fonds de recherche provenait des
gouvernements. Maintenant, c'est moins de 66 %. En Ontario, c'est
à peine 55 %. "On peut faire de l'argent avec du savoir,
mais on peut douter du génie du marché pour orienter
les priorités de la recherche, affirme Yves Gingras. Si
on veut que la recherche serve le bien public, il faut que l'État
augmente ses investissements. Sinon, le savoir va progressivement
devenir moins accessible. Comprenez-moi bien. Je ne suis pas contre
les investissements privés en recherche, mais depuis 15
ans, le pendule oscille de façon délirante du côté
du privé."
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