9 mai 2002 |
"Nous sommes des analphabètes de la science."
Constat lucide en même temps qu'aveu éploré,
le propos de l'artiste et philosophe Hervé Fischer est
venu rappeler aux propagateurs de l'information scientifique qu'une
grande crise éloigne présentement la science de
la société et qu'ils devront ajuster leur tir s'ils
veulent atteindre une plus large cible de lectorat.
"Deux possibilités se pointent à l'horizon
de la diffusion de la recherche: soit en parler avec exactitude,
avec objectivité, et perdre des lecteurs, soit accepter
que la science fasse partie de la culture", a-t-il lancé
à l'auditoire qui avait pris place dans l'amphithéâtre
Hydro-Québec du pavillon Alphonse-Desjardins, en cette
fin d'après-midi d'un vendredi 26 avril. Le cofondateur
et président de Science pour tous, le regroupement des
organismes québécois de culture scientifique et
technique, s'adressait à une trentaine des quelque 90 participants
et participantes qui ont assisté toute la journée
aux tables rondes et aux conférences du colloque "Le
journalisme scientifique: ses publics et son marché",
organisé conjointement par la Chaire de journalisme scientifique
Bell Globemedia de l'Université Laval et la CTV Chair in
Science Broadcast Journalism de l'Université Carlton, en
Ontario.
Répondant lui aussi au thème interrogatif "Où
va le journalisme scientifique?", le philosophe James R.
Brown, de l'Université de Toronto, avait précédemment
dénoncé un gros mensonge propagé principalement
par les médias américains selon lequel une convergence
rapprocherait à l'heure actuelle science et religion. Il
avait également pointé d'un doigt accusateur la
pseudo-science à laquelle les médias devraient s'attaquer
sans tarder.
L'intérêt public
C'est autour du thème "Journalisme et communication
scientifiques: où est l'intérêt public?"
qu'une table ronde avait réuni, à 14 h 30, six invités
appelés à partager leurs points de vue, entre autres,
sur la relation du journaliste avec sa source.
S'il lui est parfois difficile d'obtenir l'attention des médias,
puis de résister à la tentation de verser dans le
sensationnalisme pour des raisons de rentabilité commerciale,
certains journalistes ont toutefois tendance, de leur côté,
à emprunter trop facilement des "raccourcis",
a d'abord fait remarquer Paul Burroughs, directeur des communications
chez les Laboratoires Aeterna. "Nous devons faire preuve
de retenue, de prudence, dans notre désir bien légitime
de vouloir trop vendre notre salade", devait-il avouer avec
candeur.
Les scientifiques sont plus ouverts, a noté pour sa part
Peter Calamai. "Mais ils commettent une erreur en pensant
que les journalistes s'intéressent tous à la même
chose, qu'ils vont aller chercher le même type d'information
concernant une recherche donnée", d'ajouter le journaliste
scientifique du Toronto Star. Après avoir expliqué
de long en large les faits et gestes liés aux communications
au Centre de recherches pour le développement international
(CRDI) à Ottawa, Jean-Marc Fleury n'a pu faire autrement,
par ailleurs, que de constater l'"indispensabilité"
du rôle d'intermédiaire, voire de vulgarisateur et
de communicateur, que joue tout rédacteur scientifique
au sein de cet organisme. "Pour vraiment rejoindre les décideurs,
il faut que notre information soit reprise par les médias,
a raconté le directeur des communications du CRDI. Et dans
ce sens, nous travaillons très fort pour extraire ce qu'il
y a de plus intéressant pour les collègues et les
journalistes."
En être ou ne pas en être?
Aux yeux de la présidente de l'Association canadienne
des rédacteurs scientifiques, Véronique Morin, l'intérêt
public varie selon l'offre et, dans ce domaine, ce sont les éditeurs
et les chefs de pupitre qui tiennent "le gros bout du bâton".
Arnet Sheppard, chef d'équipe du Service des nouvelles
du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie
du Canada (CRSNG), croit, quant à lui, que les rapports
entre journalistes et communicateurs ne devraient pas demeurés
statiques. "Comme notre visibilité médiatique
revêt une importance primordiale auprès des décideurs
publics, nous entretenons une relation très productive
avec les journalistes, a-t-il révélé. Nous
consacrons beaucoup de temps à discuter avec nos chercheurs
et ces derniers sont portés à faire de même
avec les médias."
Quand Arnet Sheppard prône un rapprochement entre la source
et le canal, Pierre Sormany, lui, prêche une distance salutaire
entre les deux. "Je ne fais pas partie de l'appareil scientifique,
a affirmé sans ambages le rédacteur en chef de l'émission
Découverte à la Société Radio-Canada.
Je veux rester à l'extérieur. Je suis au service
du public." Le journaliste se doit, selon lui, de couvrir
l'événement, d'éclairer les débats,
de remettre en question, de fouiller, de gratter, de douter. "Notre
métier doit être fondé sur le doute, sur la
remise en question, a insisté l'ancien rédacteur
en chef du légendaire journal étudiant L'éprouvette
de la Faculté des sciences et de génie. Il faut
ainsi savoir se questionner, critiquer et se donner du recul par
rapport aux sources."
Signalons que ce colloque faisait partie des activités
présentées à l'occasion des Grandes Fêtes
de l'Université Laval.
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