9 mai 2002 |
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Lorsqu'un psychanalyste jungien comme Christian Gaillard se penche sur une oeuvre d'art, il cherche à rejoindre la dynamique interne de celle-ci, ce qu'elle contient, ce qui l'anime. C'est exactement ce qu'il a fait le 23 avril dernier à l'auditorium du Musée du Québec, alors qu'il prononçait une conférence intitulée: "La vie d'une oeuvre, comment s'y retrouver? Un essai de psychanalyse de l'art". Sa visite à Québec fut rendue possible grâce à la collaboration du Consulat de France et de l'École des arts visuels de l'Université Laval. Auteur et professeur de psychanalyse de l'art à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Christian Gaillard a fait porter son exposé sur une fresque vieille de plus de vingt siècles, généralement intitulée Hercule reconnaissant son fils Télèphe en Arcadie. Mesurant 1,71 mètre par 2,02 mètres, cette fresque a été redécouverte dans les ruines d'Herculanum, ensevelie jadis sous la lave du Vésuve. Le personnage central de la fresque est une femme assise. Devant elle, se tient un homme qui a la tête tournée vers la partie inférieure du tableau où une biche allaite un jeune enfant. |
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Cette scène, qualifiée d'"accord parfait" et de "circularité heureuse" par le conférencier, est montrée du bras par une femme ailée. Enfin, un garçon observe l'ensemble des personnages avec un sourire moqueur.
Un contenu énigmatique
Télèphe est un enfant du viol, celui d'une
vierge - la princesse Augé, fille du roi d'Arcadie -,
par un demi-dieu ivre, Hercule. L'enfant qui naîtra sera
abandonné sur une montagne où une biche le recueillera
et le nourrira de son lait. Pour certains mythologues, le personnage
central féminin est la représentation de la Nature,
en raison de la corbeille de fruits placée auprès
de lui. La plupart des spécialistes le considèrent
toutefois comme une allégorie de l'Arcadie. "Notre
regard s'étonne et proteste contre ces banalités,
affirme Christian Gaillard. Cette femme, dont le corps s'offre,
a devant elle un héros qui se tient sur ses gardes. La
diagonale de son corps impressionne le regard et ce corps est
croisé par une autre diagonale, celle du geste de la femme
ailée."
Le guerrier-enfant
La fresque montre Hercule dans une position inhabituelle.
La main derrière le dos, il s'arrête dans son avancée
vers la femme, lui qui, partout ailleurs, est allé de
victoire en victoire sans se poser de questions. "A-t-on
jamais vu Hercule s'intéresser à un enfant, à
une biche? demande Christian Gaillard. Il porte son attention
vers l'être le plus vulnérable qui soit. Peut-être
reconnaît-il que lui-même, tout vaillant guerrier
qu'il soit, est aussi un enfant. L'enfant fait attendre et vivre
la tendresse. Peut-être se reconnaît-il en lui. Serait-il
donc possible de vivre encore ce qu'attend et ce que sait vivre
un enfant?"
Si le héros porte attention à l'enfant, c'est parce
que la femme ailée le distrait dans son premier mouvement
d'avancée et qu'elle conduit son regard, par un geste
impératif, vers l'enfant et la biche. Cette femme ailée,
c'est Virgo, symbole du féminin. Par sa présence
constante, elle représente l'anima, la partie de
l'inconscient de l'homme, par où passent les rêves.
"Elle arrête Hercule pour le faire réfléchir
un peu, le rendant attentif à ce qui l'habite et l'occupe
dans son monde intérieur, explique Christian Gaillard.
Elle l'arrête pour qu'enfin il voit et regarde ce qu'est
un enfant et ce que peut être un rapport à l'autre
enfin dépouillé, confiant et réciproque."
Selon Christian Gaillard, le personnage féminin central
incarne à la fois la princesse Augé et la princesse
Ariane. Cette dernière, abandonnée par Thésée
après qu'il eut tué le Minotaure, et qui rêve
de bonheur, est recueillie par un dieu, Dionysos, qui l'emporte
sur l'Olympe pour l'épouser. "Toute cette histoire
tourne autour du corps d'"Arcadie", qui rêve
d'un homme qui s'avance et qui enfin s'arrête, soutient
le psychanalyste. Ce personnage est habité par un archi
vieux rêve de femme: rester vierge et devenir mère,
être une Virgo éternelle et une biche à l'enfant."
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