9 mai 2002 |
Alors que le nombre de pages d'information sur le Web atteint
maintenant plusieurs milliards, le livre a-t-il encore sa place
dans nos sociétés modernes de plus en plus tournées
vers les technologies de l'information et des communications?
Selon Hervé Fischer, artiste, philosophe, auteur et titulaire
de la Chaire Daniel-Langlois de technologies numériques
et de beaux-arts à l'Université Concordia, il n'y
a pas de craintes à avoir de ce côté: le livre,
tel que nous le connaissons depuis l'invention de l'imprimerie
au 15e siècle, est là pour rester.
Le jeudi 25 avril, dans le cadre du Salon international du livre
de Québec, Hervé Fischer faisait part de ses réflexions
sur l'avenir du livre à l'âge du numérique,
au cours de l'une des Grandes Conférences de la capitale
nationale prévues à l'horaire. "Fondamentalement,
dit-il, un livre est un livre et un site Web est un site Web.
Il s'agit de deux médias opposés." Il compare
le livre à un bon fauteuil et le site Web à une
piste de danse tourbillonnante. Le premier, parce qu'il permet
l'arrêt sur le mot, favorise le questionnement critique
et la réflexion. Le second inhibe la pensée. Il
ajoute que les pages sur un écran d'ordinateur normal sont
absolument dissuasives d'une lecture continue. Internet est donc
loin d'avoir chassé le livre papier. Ce dernier est d'ailleurs
particulièrement en vogue par les temps qui courent. En
2000, il s'est dépensé 20 milliards de dollars aux
États-Unis en achats de livres.
De l'utopie à la réalité
En février 2000, Hervé Fischer mettait en ligne
un livre inédit de plus de 300 pages intitulé Mythanalyse
du futur. Par ce geste de pionnier, explique-t-il, il voulait
échapper à la gravité du livre papier. "Je
m'étais dit: Pourquoi soumettre un livre à un éditeur
qui va éventuellement grincher et qui va me demander un
an pour le publier, alors que je peux mettre en ligne immédiatement
un vrai livre, accessible en tout temps dans le monde entier?"
Six mois plus tard, il se voyait contraint de mettre un terme
à une "extraordinaire expérience de livre partagé".
"J'étais très fier et très satisfait
du résultat, indique-t-il. Je me disais: On peut faire
un livre évolutif, vivant, qu'on peut modifier à
tous les jours. J'ai pu et j'ai fait des corrections et ajouts
- le livre avait 50 pages de plus au bout de six mois - à
partir des commentaires reçus des lecteurs. Mais un livre
en ligne dans Internet est comme une goutte d'eau dans l'océan
s'il ne bénéficie pas d'une structure qui en fait
la promotion. Je n'avais reçu aucun commentaire d'aucun
journaliste ou critique littéraire. Seuls quelques lecteurs
avaient imprimé et lu le livre au complet."
Un livre qui ne serait plus un livre
Cela dit, Hervé Fischer croit que le livre traditionnel
peut se tailler une niche dans le cyberespace. Pour cela, il doit
s'appuyer sur toutes les ressources du multimédia. Ce faisant,
il deviendra autre chose qu'un livre, c'est-à-dire un nouvel
objet culturel numérique qui inclurait le son, des images,
notamment des images qui bougent sous la forme de séquences
vidéo, et des hyperliens permettant une très grande
liberté de lecture. "En déplaçant complètement
l'objet, poursuit-il, je serai dans autre chose que le livre.
Je serai en outre asservi à la technologie. Donc, j'aurai
changé de métier puisque je serai un cinéaste
et un bidouilleur d'informatique. Avec l'interactivité,
j'écrirai en arabesques. Cela deviendra un sacré
métier et un défi redoutable."
|